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elle ne trouve que l’expédient du repli « volontaire : » c’est la seule ressource qui lui reste pour reconquérir l’initiative. Elle se flatte de gagner du temps, de nous réduire à l’impuissance par sa campagne sous-marine, et de nous écraser peut-être avec l’armée nouvelle qu’elle s’occupe de rassembler. Au rebours, elle est mise en demeure d’accepter la bataille. Elle rompt sur toute la ligne. Elle perd un ensemble de positions capitales, sur lesquelles ses efforts s’appuyaient depuis deux ans. La base matérielle de ses opérations lui échappe, avec le pouvoir de les exécuter : l’épée lui a sauté des mains.

Contrainte depuis un an à subir la pression et la volonté de l’adversaire, elle comptait sur la retraite pour desserrer l’étreinte et sur les sous-marins pour lui faire lâcher prise ; elle cherche en même temps à dénouer par l’intrigue les liens de l’Entente et négocie avec la Russie, afin d’avoir les mains libres contre l’Angleterre et la France. Des 156 divisions qu’elle avait réunies, grâce à cette sorte de trêve du front oriental, il ne lui en restait plus, vers le 15 juin, que 24 à engager dans la bataille, si l’on ne tient pas compte de 20 divisions de landwehr qui ne sont pas des troupes d’attaque. C’est avec ce capital singulièrement réduit que le commandement entreprend de restaurer ses affaires et lance les assauts ruineux de juin et de juillet.

Telle est la situation de l’armée allemande à la date où j’écris : ses positions perdues, avec un matériel immense et beaucoup plus de 400 000 hommes ; une armée blessée, qu’on est en train de rebouter avec les élémens destinés à d’autres desseins ; la classe 18 entamée ; la maîtrise des opérations évanouie sans remède, avec la ligne qui l’assurait et les réserves neuves qui devaient en être l’instrument ; les plans de l’Empire abattus du même coup que ses forces. A la même heure, le front oriental se ranime et les bataillons d’Amérique défilent sur notre sol.

Sans doute, l’offensive russe a été suivie de prompts revers. Trahi en plein élan, Broussiloff a dû évacuer presque toute la Galicie. Mais la Révolution s’est déjà ressaisie. Elle répond à la trahison en organisant la Terreur. La liberté, l’honneur sauront sauver encore la patrie en danger. Déjà les choses s’améliorent : l’Allemagne n’a pas eu de quoi exploiter sa victoire ; elle tenait l’armée russe enfermée dans sa main, et n’a pas eu la force de refermer la main. Ce n’est même pas elle qui a provoqué la