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Une lettre du brancardier B... (418e de réserve) se termine par un trait étrange et éloquent de désespoir :


« Soupir, 12 avril. Je ne puis vous décrire ce qui se passe ici : une seconde bataille de la Somme se livre. Depuis sept jours et sept nuits, les Français ne se contentent pas de niveler tous nos abris et nos tranchées : ils détruisent encore toutes nos communications à l’arrière. Nous sommes réduits à demeurer accroupis dans nos trous et à nous laisser tirer dessus. Quant à notre artillerie, pas un coup de canon ; elle fait des économies, et toutes les liaisons sont coupées avec la première ligne. Nos hommes ont été enterrés par douzaines. On ne sait où se sauver. Il y a bien peu d’espoir de sortir de cette fournaise. J’estime qu’il est bon de vous prévenir. La captivité serait le salut ; autrement, plus d’espoir. En arrière du front, ils démolissent tous les villages et les cantonnemens. Pas un chemin n’est praticable. Qu’ai-je fait pour vivre de telles horreurs ?

« Adieu, mes amis. Ne vous faites pas de bile à cause de moi. Quand une fois on a rejoint les camarades qui sont sous terre, on est au moins délivré de cet enfer. »


Des troupes se mutinent et refusent d’obéir. Le 12 avril, devant Vimy, un homme de la Garde écrit : « On nous relève. Les hommes n’en veulent plus. Un peloton a refusé de monter aux tranchées ; il y a une foule d’exemples semblables. » Un autre, le même jour : « La tranchée est terriblement mauvaise : ce n’est pas étonnant que les hommes ne marchent plus. Nous aussi, nous avons refusé de prendre les tranchées. Ils peuvent nous mettra en prison ; peut-être qu’ainsi la guerre sera finie pour moi. »

Ainsi, une fois de plus, s’imposait à l’ennemi l’impression de notre puissance. Et c’est à cette puissance qu’il a été contraint de céder, en dépit d’une résistance acharnée et de contre-attaques réitérées dont la rage n’a fait que s’exaspérer au cours de ces trois mois. Ce fait suffirait à montrer l’importance des positions que nous lui avons ravies. Il ne s’est pas couvert de l’insignifiance d’une perte qui n’aurait pas valu ce qu’elle eût coûté à recouvrer. C’est le prétexte qu’il avait donné lors de sa défaite à Douaumont : ce point n’offrait plus d’intérêt, du moment que l’on renonçait à l’entreprise de Verdun. Et le commandement venait encore, par sa récente retraite, d’offrir un exemple frappant de son indépendance à l’égard du « qu’en