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Le premier était le plus prochain et le plus apparent. C’est celui que la presse développe bruyamment comme premier bénéfice de l’opération. Le thème uniforme est le suivant : « Les plans de l’Entente sont « déjoués » et « réduits à néant. » Que reste-t-il aujourd’hui de ses préparatifs ? Tout cet échafaudage croule à bas d’un seul coup. »


L’ouvrage de longs mois, les parallèles de départ d’où devait s’élancer l’assaut, les masses d’artillerie qui devaient frayer la route par un déluge de feu aux colonnes d’attaque, les chemins de fer, les routes construites à grands frais, les réserves accumulées déjà derrière le front, tout cela se trouve inutile : tout a été fait en pure perte. Au lieu de la victoire à cueillir, de nouvelles tâches s’imposent : d’abord, il faudra reconnaître, en glissant dans le sang, ce qu’est devenu l’adversaire ; il faudra refaire d’autres plans, répartir autrement ses forces, avec le lourd souci des mille surprises désagréables qui peuvent survenir pendant ce moment de trouble. Telle est la situation pénible à laquelle se trouve condamnée l’Entente par la manœuvre d’Hindenburg[1].


On pourrait multiplier les citations du même genre. On sent à quel orage l’Allemagne pensait se soustraire, et avec quel soulagement elle le voyait se dissiper. Évidemment, on reculait ; mais le prestige d’Hindenburg est au-dessus d’une reculade[2]. D’autres y auraient laissé ou compromis leur gloire : la sienne est sortie de là plus solide que jamais. L’Allemand, quand il n’a pas la force, n’aime rien tant que la ruse, la subtile Klugheit qui sait jouer au plus fin, « engeigner » l’adversaire. Et c’était pour le populaire une joie sans mélange que le spectacle imaginaire de notre déconvenue et surtout du dépit de l’Anglais frustré du fruit de ses travaux, bafoué et encombré de l’immense bagage qui lui restait pour compte. Car cette Allemagne, naguère si vaine de son outillage, a changé de chanson ; à mesure que ce monopole lui échappe, elle se retranche dans le domaine des supériorités abstraites et dans le privilège de « l’art. »

Mais la merveille de cet « art, » ce n’était pas de renverser les combinaisons de l’adversaire ; c’était, par ce coup de poing donné dans l’échiquier, d’avoir subitement recouvré l’initiative ;

  1. Lokal Anzeiger, 14 mars.
  2. F.-C. Endres, Frankfürter Zeitung, 18 mars.