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petites lampes électriques qui brillent quelques secondes puis s’éteignent pour se rallumer un peu plus loin. On dirait une procession d’étoiles ; c’est très pittoresque, mais beaucoup moins pratique, parce que ces lampes aveuglent le passant qui vient se heurter contre vous. La nuit, on s’enferme chez soi : défense de sortir de huit heures du soir à six heures du matin. On n’a pas idée combien cet isolement, cette claustration forcée, douze heures sur vingt-quatre, est pénible, ni de quelle interminable longueur semblent les nuits !

Jeudi 26 -— Encore un bombardement qui peut compter parmi les plus terribles. — A huit heures dix du soir, alors que le couvre-feu venait de sonner pour les civils, cinq officiers sortant de leur « popote » se rendaient chez eux à l’extrémité de la rue de Vesles, lorsqu’un 210 vint s’abattre à quelques mètres, en tua trois et blessa les deux autres. Détail atroce : la cervelle de l’un d’eux, le commandants... rejaillit à la figure de son fils qui l’accompagnait, mais qui ne fut pas blessé. Jamais jusqu’ici l’ennemi n’avait tiré si loin dans le faubourg de Paris. C’était à cent mètres environ du pont d’Épernay. Dès le lendemain, beaucoup de gens du quartier déménageaient, les uns quittant Reims, les autres allant simplement se loger plus haut, à la Haubette. L’autorité militaire ordonna aux marchands qui, jusque-là, tenaient leur éventaire à cette extrémité de la rue de Vesles, de s’installer dorénavant avenue de Paris, au Sud du pont d’Epernay : on ne devait pas tarder d’ailleurs à s’apercevoir qu’ils n’’y étaient pas plus en sécurité. La rue de Vesles perdit ainsi beaucoup de son animation et de son pittoresque. Il était vraiment original, ce marché en plein vent, tant par son installation rudimentaire que par l’attitude de ces marchandes qui, bruyamment, interpellaient les passans et appelaient la clientèle. Avec cela, très fréquenté : c’était comme le rendez-vous quotidien de tout le faubourg de Paris, c’est-à-dire de plusieurs milliers de personnes.

Jeudi 3 décembre. — Reçu ce matin la visite de Mme Deresme, institutrice, réfugiée dans les caves Pommery. Elle me demande de l’autoriser à ouvrir une garderie dans les caves. Je l’y ai autorisée bien volontiers, lui conseillant même de transformer cette garderie en école dès qu’elle pourrait y réunir une vingtaine d’enfans. (Ce devait être la première École de cave.)