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Bordeaux. On étouffe littéralement dans nos ports de commerce. Tous ces derniers temps, quand on attendait anxieusement le charbon et le matériel de guerre, on a pu voir de véritables flottes de vapeurs immobilisées à Cherbourg avant de pouvoir remonter jusqu’au Havre, où, d’ailleurs, de nombreuse cargos stationnaient en rade de longs jours avant de pouvoir être déchargés. En Méditerranée, dans la baie de l’Estaque, j’ai compté, à plusieurs reprises, plus de trente de ces cargos à destination de Marseille.

Cette immobilisation des bâtimens dont le concours eût été si précieux, outre les conséquences financières dont je parlerai plus loin, a eu le très grave inconvénient de condamner à l’inaction des navires qui eussent apporté à notre pays le grain et les matières premières qui nous manquent aujourd’hui. Si l’on faisait le total des journées perdues-de ce fait, on arriverait sans peine à prouver qu’une meilleure utilisation du tonnage flottant aurait permis le ravitaillement de la France entière pendant plusieurs mois de guerre. La question de la « souduro » ne se poserait pas et la population n’eût point été privée de charbon pendant tout l’hiver dernier.

Tandis que Liverpool, Londres, Anvers, Rotterdam, Hambourg, Brème, aux années qui ont précédé la guerre, se sont développées dans des proportions gigantesques, comment excuser notre indifférence ? Les Chambres de commerce ont bien établi en temps voulu leurs prévisions, mais les Pouvoirs publics, à qui incombait le soin d’élaborer les plans d’ensemble de notre outillage national l’ont fait avec une extraordinaire lenteur. On n’imagine pas par quelle filière passent les projets de travaux avant d’être convertis en lois. A force de courir du secrétariat de la Chambre de commerce au bureau de l’ingénieur local, au Conseil des ponts et chaussées, pour s’échouer enfin dans les bureaux du Parlement, les projets se démodent avant d’être adoptés.

n semble, en outre, que l’on ait commis une erreur en émiettant nos ressources sur tout le littoral au lieu de les concentrer en quelques points bien déterminés. J’approuve, certes, les allocations de crédits, plus ou moins élevés, qui ont servi à fonder dans certaines criques ou certains estuaires des ports utiles ; mais était-ce une raison pour négliger l’exécution des travaux d’agrandissement à Dunkerque, au Havre, à Saint-Nazaire, à Bordeaux,