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elle cousait encore de temps en temps) bâillait, à ses côtés, sur une chaise, ou sur un guéridon. Elle commençait par lire la « gazette, « en quête d’un beau fait divers bien émouvant ; mais, très vite fatiguée de sa lecture, elle rentrait ses lunettes dans l’étui et posait le tout sur l’appui de la fenêtre, habituellement garni d’un faux parterre en laine frisée, pour imiter la mousse, et tout fleuri de liserons et de grosses roses faites au crochet. Ce parterre artificiel, avec sa flore éclatante, excitait mon admiration. Mais il était moins émaillé de fleurs que hérissé d’une foule d’objets piquans et très durs, aiguilles à tricoter, épingles et ciseaux qui se dissimulaient sournoisement sous sa toison moutonnière, comme des vipères sous le gazon. Je n’osais pas y toucher. Je me bornais à contempler ce jardin merveilleux, tandis que ma grand’mère, soulevant à demi le rideau de mousseline empesée, épiait les allées et venues des passans. C’était son théâtre à elle. De là son regard tombait tout droit sur le parvis de l’église, de sorte qu’elle pouvait suivre, de son fauteuil, les cortèges de mariages et d’enterremens. Les dimanches, elle assistait aux sorties de vêpres, qui, en ce temps-là, étaient très courues et très élégantes. Rien ne lui échappait, aucun détail de toilette, aucun ridicule de costume ou d’attitude. Cependant, elle n’était nullement médisante. Personne ne montrait plus de bienveillance à l’égard du prochain. Quand on venait lui conter quelque sotte histoire sur une de ses connaissances, par principe elle refusait d’y croire et elle fermait la bouche aux cancanières, en leur disant d’un petit ton sec :

— Taisez-vous ! Tout cela, ce sont des « dâdées ! »

Mais cela ne l’empêchait point de prendre un vif plaisir à la petite comédie inconsciente que lui donnaient journellement ses contemporains, — simples passans ou visiteurs. Le dimanche surtout, dès que le dernier coup des offices avait sonné, elle était à son poste, et, à mesure que les fidèles pénétraient sous le porche de l’église, ses exclamations gouailleuses les silhouettaient au passage.

— Diantre ! Mademoiselle une Telle !... Quelle « grimacière !... » Et sa mère ! se mettre en blanc ! A son âge ! Peut-on !... Ah ! C’est « une belle au jour !... » Je vous demande ! Madame Chose, à soixante-quinze ans, oser encore sortir « en taille ! » Qu’elle coure se cacher ! C’est ma tante Aurore !... Regardez-moi le chapeau de madame X... !... Quelles plumes ! Ce