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des briques ou des cruchons brûlans, qu’on plongeait, tout habillés de linges, entre les draps.

Au printemps ou à l’automne, le temps qui, partout ailleurs, est assez variable, devient facilement très aigre et même glacial en Lorraine. Quand nous rentrions de promenade, trempés par une averse soudaine, ma grand’mère s’affolait à la pensée de toutes les coqueluches qui pouvaient fondre sur nous :

— Je vous demande un peu ! Les voilà tout « purans ! » Pas un fil de sec !... Changez-les vite, Joséphine !

Et on nous déshabillait des pieds à la tête. On faisait chauffer nos bas de laine devant le fourneau de la cuisine, avant de nous les enfiler. Inutile de protester. Ma grand’mère était inflexible sur ce chapitre. Convaincue, suivant le vieil adage médical, qu’il vaut mieux prévenir le mal que le guérir, elle ne voyait partout que rougeoles et scarlatines, spectres hideux qui rôdaient autour de nos petits lits. Aucun soin, aucune minutie n’étaient superflus pour les conjurer ou les mettre en fuite...

Au fond, malgré sa dureté apparente et sa sévérité, elle ne s’intéressait qu’aux enfans, non seulement aux siens, mais à ceux des parens, des amis, de tout le voisinage. Comme une bonne fermière qui épie anxieusement les couvées, elle se passionnait pour les naissances, était assidue aux caquets de l’accouchée, attentive à la croissance des nouveau-nés et elle s’émerveillait de les voir grandir, comme d’un miracle ravissant et toujours nouveau. Elle avait des mots pour tous les âges et toutes les transformations des bambins, pour tous leurs gestes et tous les menus événemens de leur existence. Le bébé qui commençait à essayer ses petites jambes était pour elle un trotrot :

— Regardez-moi ce petit « trotrot ! » Un vrai Jésus !

Plus tard, quand l’enfant étrennait ses premières culottes et usait ses premiers souliers, elle s’ébahissait, des progrès de sa malice et de la scélératesse de ses u avisions. » A chaque méfait du polisson, elle jetait les hauts cris :

— De quoi je me mêle ! Un « bottré » de cet âge-là !

J’imagine qu’un « bottré » devait être, dans son idée, un gamin pas plus haut que la botte. Mais l’étymologie de ces vieux mots est très difficile à retrouver. Elle en avait un, par exemple, qui est encore inexplicable pour moi, mais qui était singulièrement expressif, — pour désigner la fillette déjà montée