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et de l’ennui, qu’elle était si peu tendre au jeune âge. D’ailleurs elle avait reçu la vieille éducation classique, — l’éducation traditionnelle de nos pères, non encore amollie de sentimentalité romantique. Que c’est curieux ! A l’époque où les parens n’aimaient guère les enfans, ceux-ci foisonnaient. Quand, après Victor Hugo, on s’est mis à les adorer, pour ne pas dire à les diviniser, on en a eu de moins en moins. L’amour des enfans était devenu de la littérature. Toujours est-il que mes oncles et mes tantes — principalement mes tantes — furent très sévèrement élevée. Quand ma grand’mère adressait la parole à l’une de ses filles, elle lui disait : « Mademoiselle ! » d’un ton qui donnait à l’interpellée la conscience immédiate de son néant. Elle se montrait extrêmement distante avec elles et ne les tutoyait jamais. Plus tard, par une adaptation spontanée aux usages, elle tutoya ses petits-enfans, et son vieux cœur s’attendrit si bien pour eux qu’ils eurent beaucoup de peine à comprendre le récit de ses rigueurs passées.

Si peu sentimentale qu’elle fût en matière d’éducation puérile, elle se piquait, en tout cas, de s’y connaître. L’hygiène des nouveau-nés n’avait pas de secrets pour elle. On la consultait là-dessus comme un oracle. D’ailleurs, pour toutes les maladies elle connaissait une foule de recettes et de thérapeutiques que les vieilles bonnes femmes de notre pays s’étaient léguées d’une génération à l’autre et où les onctions d’huile et de saindoux, les cataplasmes, les embobelinemens d’ouate et de coton jouaient un rôle capital. Pour l’emmaillotage des bébés, elle appartenait à l’ancienne école qui ligotait le nourrisson dans ses langes comme une momie d’Egypte dans ses bandelettes. D’après elle, celui-ci n’était jamais assez roidement entravé. Elle disait aux bonnes :

— Serrez-moi bien les lurelles de cet enfant-là !

Les lurelles, c’étaient les langes. Et elle n’avait de cesse que lorsque le poupon était transformé en un paquet rigide et tout d’une pièce, comme un cervelas de Pâques.

Les rhumes infantiles étaient redoutés par elle à l’égal d’une catastrophe. Pour éviter les refroidissemens et jusqu’aux moindres changemens de température, elle nous faisait affubler, pour dormir, de robes de nuit ouatées et capitonnées. Nos jambes étaient emprisonnées dans des sacs de flanelle, qu’elle appelait des « jambières » et nos pieds lutinaient, sous les couvertures,