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kirche, küche : les enfans, l’église, la cuisine. » Nos Lorraines, même celles des régions à dialectes germaniques, eussent d’abord protesté contre ce rapprochement aussi lourdement matériel qu’irrévérencieux de l’église et de la cuisine, et ensuite eussent déclaré la triple formule trop étroite pour leur usage. Les soins du ménage, auxquels elles se donnaient avec un beau zèle, ne les empêchaient point de songer à leurs devoirs de sociabilité et, en général, à tous les plaisirs mondains. La cuisine, — certes admirablement outillée et fournie, en ses armoires, d’une foule de choses succulentes et de réserves copieuses, — ne faisait pas oublier le salon. Enfin, pour ce qui est de l’église, ces dames n’eussent point manqué de dire : « De la religion, oui, sans doute, c’est excellent ! Mais pas trop n’en faut. »

Telle était l’opinion de ma grand’mère. Elle non plus n’était nullement dévote. C’était le cas, d’ailleurs, de la plupart des femmes élevées sous le Directoire et le premier Empire : leur éducation religieuse avait été bien négligée. J’ajoute que, dans le milieu d’où elle sortait, ce petit monde provincial de noblesse parlementaire, militaire surtout, on était généralement voltairien. J’attribue à l’influence de mon bourgeois de grand-père, homme profondément religieux, la régularité et la correction que ma grand’mère apportait dans ses pratiques de piété. Habituellement, elle assistait à la grand’messe du dimanche, avec son mari et tous ses enfans, et elle suivait l’office dans un superbe missel en maroquin vert et à tranches dorées, que j’ai retrouvé plus tard, au fond d’un secrétaire, à une époque où elle ne pouvait plus s’en servir, les caractères étant trop fins pour ses yeux. Ce livre somptueux, qui datait du XVIIIe siècle, avait dû être acheté dans une vente, ou transmis par héritage. Je vois encore le nom de la première propriétaire, tracé d’une encre jaunie et d’une belle écriture diplomatique, toute fleurie de boucles, sur la page de garde : « Pierron la Cadette. » Le texte pieux était précédé d’une approbation de « Mgr de Croy, évêque de Metz et prince du Saint-Empire romain germanique, » le tout timbré de ses armes et publié chez Alcan (ou Collignon ?), libraire de Monseigneur, à l’enseigne de La Bible d’or.

Pendant les dernières années de sa vie, la pauvre femme, devenue presque impotente, se faisait néanmoins un devoir