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ses boues tenaces et profondes, ses immenses plaines à céréales. Ma grand’mère, c’est le Haut-Pays, avec ses forêts de chênes et de bouleaux, ses usines, ses forges, ses fonderies couronnées d’un perpétuel incendie nocturne, ses wagons de fonte et de houille, ses routes et ses allées de jardin empierrées ou sablées de « crasse » et d’escarbilles, paysage à la fois charbonneux et verdoyant, que je revois, comme au temps de mon enfance, à travers les verres coloriés d’un kiosque rustique, dans une fantastique lumière de topaze, où se découpaient des bordures de buis, des espaliers d’arbres fruitiers et des corbeilles de fleurs aux rigidités métalliques, toute une irréelle végétation minérale qui semblait pousser naturellement dans ce pays du Fer.

Ma grand’mère était-elle aussi fortement racée que la mère Charton, je n’oserais pas l’affirmer. Cependant, elle était née à Briey, dans une propriété de ses grands-parens, qu’on appelle encore aujourd’hui La Solle. Son aïeul maternel qui s’intitulait pompeusement « seigneur de La Solle » appartenait à une famille de petite noblesse parlementaire, les Adam de Fromeréville, originaires de Saint-Mihiel et qui possédèrent jusqu’après la révolution le domaine d’Hattonchâtel. C’étaient donc des riverains de la Meuse. Quant à son propre père, bien que né au château de Bouillon en Belgique, où commandait son grand-père, il descendait d’une vieille famille de l’Orléanais, les Bouvier de Lamotte, comme la célèbre Mme Guyon, la mystique amie de Fénelon, qui était née Jeanne Bouvier de Lamotte. Ainsi, mon arrière-grand’père, élevé à la Flèche, d’abord lieutenant à Montmédy sous les ordres du marquis de Vogué, puis au régiment de Fort-Royal à la Martinique, où il avait été appelé par un de ses cousins, le marquis de Beauharnais, gouverneur de la Guadeloupe, le futur beau-père de l’impératrice Joséphine, — mon bisaïeul venait des bords de la Loire. En allant à la Martinique, il ne faisait qu’obéir d’ailleurs à une vieille tradition de famille. Plusieurs de ses ascendans furent capitaines de vaisseaux, celui-ci gouverneur de Québec et de la Nouvelle-France, celui-là lieutenant général des armées navales. L’un de ces coloniaux avait marié sa sœur au fils de Georges-Louis Leclerc de Buffon, le fameux naturaliste, auquel peut-être il avait rapporté des « coquilles ! »... Qu’on raisonne, après cela, sur la race et le milieu ! Qu’on essaye d’accorder tant d’influences diverses, celles du Barrois et du Gâtinais, de