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Le lendemain matin, Luc Heemskerque frappait à la porte du chantre Connixloo. Il le trouva seul, assis, la tête entre ses mains, dans la sombre chambre où, depuis trois ans, personne n’enlevait plus les toiles d’araignée. Connixloo, se levant, recula d’un pas en voyant entrer le forgeron.

— Votre fille est morte, monsieur Connixloo, dit Heemskerque.

— Elle est morte, oui, pour moi, depuis trois ans.

— Elle est morte volontairement, monsieur Connixloo, et a sauvé Meulebeke, il faut que vous le sachiez.

Connixloo — sans répondre — releva, comme pour écouter, sa tête aux tempes collées, pâle comme un vieux parchemin, et il claquait des dents.

Le forgeron lui raconta l’incendie d’Iseghem, comment il avait ramené ses enfans à Meulebeke, comment Gotton les avait soignés et couchés, puis l’inquiétude que l’on avait eue le lendemain pour Meulebeke après la découverte du cadavre caché derrière la haie des Van Dooren, son désir de partir, la ruse qu’avait eue Gotton pour l’éloigner.

— Quand je suis arrivé à Metsys, continua-t-il, et que j’ai demandé M. le Curé, M. le Curé a été bien bon, il est descendu pour me parler lui-même, et me demander des nouvelles de Gotton. Il m’a dit, comme je pouvais m’y attendre, qu’il avait prêté sa carriole et la jument, depuis huit jours déjà, à une veuve de la paroisse qui était partie pour Anvers avec ses enfans. « Le Curé, qu’il disait, on sait bien qu’il ne s’en va pas ; aussi sa carriole est la première prêtée. J’aurais été content, qu’il a dit, de faire quelque chose pour Gotton. »

« Alors j’ai couru tout le chemin de retour jusqu’à Meulebeke. En descendant de la rue avant de rentrer chez moi, je regardais s’il n’y avait rien de changé.

« Je remarquais que l’on s’écartait de moi comme je passais et qu’on me regardait pourtant. J’ai demandé à un voisin sur la place : « Rien de nouveau ? » Il m’a montré les maisons bien tranquilles et m’a dit : « Vous voyez. » Alors je suis rentré à la forge et j’ai trouvé une lettre que Gotton m’avait écrite : elle disait qu’elle s’en allait, qu’elle ne pouvait plus élever mes enfans, et elle me montrait bien qu’elle avait l’idée de chercher