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allocution solennelle sur la justice vindicative [1]. On les vit alors, d’un geste assez gauche, s’essayer à fonder une ligue pour désarmer cette justice qu’ils commençaient de redouter, et pour renouer avec leurs coreligionnaires belges les liens de la « fraternité chrétienne. » Il y a des circonstances où l’usage de certains mots est sacrilège... « Les Allemands, reprit le cardinal, veulent nous faire oublier le passé abominable que nous leur devons ! Non, notre devoir est simplement d’insister pour le rétablissement du droit violé, le châtiment du coupable et l’acquisition de garanties pour l’avenir : une autre attitude ferait de nous les complices de nos bourreaux. Un crime commis ouvertement contre notre nation ne peut pas être pardonné simplement ! » L’idée de droit, — d’un droit auquel des réparations sont dues, — éclairait ainsi d’une franche et claire lumière toutes les démarches du cardinal, et prévalait avec la même sérénité sur les brutales menaces et sur les tentatives de paix plâtrée.

Il avait suffi de quelques semaines, en août 1914, pour déconcerter à jamais les illusions de la « conscience moderne. » On avait cru à l’efficacité morale de la Science, et la Science, maniée par l’astuce d’outre-Rhin, apparaissait comme un instrument de crime. On s’était flatté de faire éclore, aux conférences de La Haye, — à ces conférences d’où le Pape était absent, — une morale internationale ; et ce droit des gens laïque, précaire comme toutes les élaborations purement humaines, était sauvagement lésé par l’un des contractans, par celui qui momentanément était le plus fort. On avait acclamé les audaces spéculatives de l’Allemagne intellectuelle, et l’Allemagne belligérante, messagère du droit de la force, cherchait dans ses penseurs sa propre apologie, et l’y trouvait. Mais la conscience moderne, après tant de déboires, se sentit un instant soulagée, lorsqu’elle vit ce cardinal se dresser devant le militarisme germanique au nom de la transcendance de la morale et de son inviolable prépondérance sur un droit issu de la force. L’arrogant hégélianisme, représenté jusqu’au delà des Alpes par le philosophe italien Benedetto Croce, accusait formellement Mgr Mercier de « sénilité mentale » [2], pour oser refaire un sort à d’aussi

  1. M. Julien de Narfon, dans le Figaro du 2 juillet 1917, a donné de cette allocution de magnifiques extraits.
  2. La Critica, 1916, XIV, p. 81. Dans cet étrange article intitulé : L’État comme puissance, M. Benedetto Croce partage ce reproche de sénilité mentale entre les « démocrates maçons » qui ont le culte de « la déesse Justice » et « les scolastiques type cardinal Mercier. »