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l’histoire belge, il savait mettre du recul, et, dans la conscience belge, mettre de la fierté. On l’entendait proclamer, à Malines, dans le banquet de sa consécration épiscopale :


La petite Belgique a de grandes ambitions : si petite soit-elle, elle a marché à pas de géant. Je me rappelle un souvenir de jeunesse universitaire. Il y a trente ans, nos camarades anglais et américains s’amusaient à nous suivre à la gare quand nous repartions pour chez nous, et, d’un petit air malicieux, se plaisaient à nous faire cette recommandation qu’ils prêtaient à nos mères inquiètes : « Surtout, cher enfant, tenez les portières bien fermées. » Mais aujourd’hui, les portières sont larges ouvertes : après l’expansion coloniale, c’est l’expansion mondiale ; nos forces sont décuplées, notre activité déborde, notre fierté nationale grandit et s’affirme [1]. »


Un autre jour, sa joie de patriote s’exaltait, en observant que, « relativement à sa population, la Belgique tenait la tête des nations des deux mondes dans la concurrence économique. » Dans une lettre que signaient avec lui ses collègues de l’épiscopat, il parlait de à la fierté d’être Belge [2]. » D’épineux débats entre Wallons et Flamingans semblaient faire brèche dans l’unité morale du jeune peuple : la personnalité du cardinal visait à maintenir l’unité. Il avait, jeune homme, appris le flamand, en un temps où peu de Wallons l’apprenaient ; il considérait comme « antichrétiens, antisociaux, antinationaux, » les préjugés qui voulaient évincer la culture flamande [3] ; il ouvrait à cette culture ses établissemens d’instruction, avec un esprit de mesure qui garantissait la durée de l’innovation. Mais tandis que, d’une Belgique, les malentendus de races risquaient d’en faire deux, Léopold II, par l’annexion du Congo, créait, lui, une « plus grande Belgique ; » et la voix de Mgr Mercier, s’élevant avec opportunité pour demander que la colonisation fût un acte collectif de charité fraternelle, rendait hommage au souverain qui venait d’ouvrir un vaste continent à la civilisation [4]. « Ses initiatives civilisatrices, insistait le cardinal, ont élevé la puissance et le renom de la patrie belge à des hauteurs que seul le recul de l’histoire permettra

  1. Mercier, Œuvres pastorales, I, p. 42-43.
  2. Ibid., II, p. 272 et II, p. 118.
  3. Ibid., I, p. 156.
  4. Ibid., II, p. 119, 434-435 et 290.