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même type d’officier supérieur, dont le pratique et sobre khaki (le col paré de vermillon, et l’insigne du grade sur l’épaule) fait ressortir l’énergique noblesse. Il nous reçut comme à son club, et puis nous donna deux lieutenans : « Divisez-vous ; cela vaut mieux, bien qu’il n’y ait pas beaucoup de strafing en ce moment-ci. » Strafing, c’est le marmitage allemand, le Gott strafe England, qui amusa tant les Anglais, ayant donné ce mot qui, maintenant, fait partie de la langue.

Consciencieusement, durant deux heures, le lieutenant nous a fait tourner dans ces couloirs de première ligne, beaucoup plus étroits et moins vivans que les tranchées de réserve. Impression de mortelle monotonie. Plus de groupes s’activant joyeusement à des besognes de métiers. La sape toujours pareille, avec son rondinage et son eau jaune, sa banquette, les veilleurs dont on ne voit que le dos de laine fauve, les sacs de terre empilés sur le parapet, le fil barbelé, tendu sur des piquets de fer qui sont toujours ceux des Allemands. Par terre, une profusion d’éclats rouilles d’obus et de torpilles, et surtout, par trois et par quatre, encore fixées sur la coulisse du chargeur, des balles boches, françaises, anglaises, celles-ci à foison : je suppose qu’on en fait, de temps en temps, la cueillette. Parfois un officier, la jumelle à la main, dans une embrasure ; un téléphoniste agenouillé devant son appareil ; un obusier sur un terrassement ; une mitrailleuse dans un réduit. Dans une galerie latérale, on nous montra un éboulis récent : un coup de torpille. Là, venait d’être frappé le blessé dont nous avions croisé la civière. Ces tranchées, où rien ne semblait se passer, n’étaient pas inactives.

Un ennui affreux s’en dégageait pourtant. Il faut imaginer ce qu’est la vie dans ces repaires, où la seule distraction est de donner et de risquer la mort. Le bourbier, l’eau jaune, la paroi suintante, la fosse que l’hiver noie, où le printemps n’apporte pas une herbe, la glaise et la craie infectées de cadavres, les pentes blêmes où ne poussent que les croix des morts et du fil de fer : toujours, à travers les mois, les années, revenir à cela (beaucoup de ces soldats furent d’abord à l’Yser, où l’inondation a charrié la pourriture) ; toujours retrouver cela, au réveil, à matin, — quelle entrée dans la vie pour ces jeunes gens qui n’avaient jamais pensé à la guerre ! L’existence des nôtres est toute pareille, mais ils semblent plus formés, plus consciens.