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qui ? vous ne devineriez jamais : l’ouvrier, partageant sa journée entre le labeur aux champs ou à l’usine et ses sollicitudes pour sa femme et ses enfans. » — « Les pauvres sont nos maîtres, redit-il aux confrères de Saint-Vincent de Paul ; ils nous apprennent à donner, à prier, à aimer le Christ [1]. »

Car dans la vie chrétienne telle que le cardinal la conçoit, on se fait volontiers l’apprenti d’un plus petit que soi. Un jour de 1907, déjà vêtu de la pourpre, il se plait à rappeler à des étudians comment un étudiant l’éclaira jadis, lui professeur :


Ce jeune homme, à qui je recommandais la pratique quotidienne de la piété, me fit observer que, s’il ne lui était pas toujours bien possible d’aller chaque matin à la messe, cependant il ne manquait jamais de visiter une famille ouvrière dans la gêne ou un malade pauvre auquel il s’intéressait, et il ajoutait qu’il ne s’en trouvait pas plus mal, religieusement parlant. Ce simple mot fut pour moi un trait de lumière, — comme quoi il est avéré, chers étudians, que si nous nous appelons vos maîtres, vous êtes souvent, en réalité, les nôtres ; mais nous ne vous l’avouons que sur le tard ; il faut bien, n’est-ce pas, sauvegarder le prestige professoral !


Et couvrant ainsi de son autorité l’attachante audace de cet aveu, il rend grâces à l’étudiant, qui lui fit si bien « réaliser cette maxime de la théologie morale, d’après laquelle les nécessités corporelles pressantes du prochain priment les pratiques, même obligatoires, de la vie spirituelle [2]. »

Il est de pieux cénacles, où parfois s’embusque l’esprit de caste : le cardinal signale tout de suite le péril. Bénissant à Bruxelles une confrérie de dames, il leur dit franchement :


Vous formez une élite ; je voudrais vous voir vous habituer à une pensée plus large, à un sentiment de vie chrétienne plus intense. Ayez des ambitions de conquête. Intéressez-vous à toutes les âmes de votre paroisse, aux âmes de vos compatriotes, à toutes les âmes de la catholicité. Il ne faut pas que vous vous regardiez comme appartenant à un groupe, à une sorte de caste dans la société chrétienne. L’Église ne connaît point les castes, l’Église ne fait point d’acception de personne, l’Église veut du bien à toute l’humanité [3].


Le cardinal est un grand docteur de fraternité : sa pourpre

  1. Mercier, Œuvres pastorales, III, p. 487 ; II, p. 73 ; II, p. 381-384.
  2. Ibid., I, p. 327.
  3. Ibid., 1, pp. 271-272.