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jeune clerc se posait cette question, et réservait la réponse pour l’avenir. Chaque chose en son temps : il avait d’abord à devenir un prêtre, et c’est à quoi, sur l’heure, visait son travail.

Il briguait quelque chose de mieux qu’une maîtrise intellectuelle dans les sciences théologiques : son contact fréquent avec les écrits des Pères, sa familiarité quotidienne avec saint Paul, tendaient à former en lui, non point un spécialiste en sciences sacrées, mais un apôtre de Jésus-Christ. S’il apprenait par cœur les Epîtres, s’il inaugurait sur ses cahiers cette façon de les traduire qui lui est si personnelle et qui leur fait rendre tout leur suc, ce n’était pas à des fins d’exégèse, mais c’était pour imprégner son âme « des plus grandes pensées dont se composa la primitive atmosphère morale du christianisme [1]. » Il se cultivait pour les âmes qu’il aurait un jour à cultiver, et concevait l’étude comme un apprentissage de l’action, non comme une jouissance cérébrale. Sa vocation gouvernait son travail intellectuel : les intuitions, non moins profondes que soudaines, qui lui découvraient d’amples horizons d’études, étaient systématiquement ajournées ; il mortifiait toutes les aspirations qui ne tendaient pas uniquement, en lui, à l’éducation du futur prêtre. Il consacra trois ans de séminaire à préparer cette demi-heure matinale du 6 avril 1874, où, pour la première fois, il consacra l’hostie. « Vers le Dieu qui réjouit ma jeunesse, » inscrivait-il sur le Memento de son ordination, et sa jeunesse réjouie ne désirait rien de plus qu’un poste de paroisse, dans lequel il pourrait distribuer la parole et la vie de Dieu, et quotidiennement réaliser « ce moment unique de l’histoire du monde [2], » le sacrifice eucharistique.

Mais déjà ses supérieurs avaient disposé de lui : ils l’expédiaient à l’Université de Louvain. L’obéissance lui fut d’autant plus facile, qu’elle lui intimait d’ouvrir les fenêtres, toutes grandes, sur le monde de la pensée, tout en rentrant fréquemment dans cette cellule de l’âme, où le silence fait parler Dieu [3].

Les études philosophiques qu’on faisait alors à Louvain ne mettaient pas les élèves en possession d’une philosophie ; tout au plus leur suggéraient-elles le besoin d’en avoir une, et ce besoin s’accompagnait et se tempérait d’une certaine crainte.

  1. Œuvres pastorales, I, p. 102.
  2. Ibid. III, p. 253.
  3. A mes séminaristes, p. 40 et suiv.