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s’offraient, et conquéraient à jamais son cœur : c’étaient les ouvriers catholiques. Sans le savoir, eux, ils lui donnaient des leçons de psychologie. « Il y a souvent profit, dira-t-il dans la suite, à prendre à l’école du peuple de telles leçons. L’ouvrier pense très haut. Son langage prime-sautier ignore l’artifice. Nul ne vous aide mieux à lire dans l’intimité de l’âme [1]. »

Avec ces grands camarades brainois, le jeune Mercier fut « Mamelouk ; » ainsi débuta sa vie publique. Mamelouk, c’était le sobriquet dont les libéraux affublaient les Xavériens qui, sous le patronage de saint François-Xavier, groupaient les forces catholiques de la bourgade. On relevait ce sobriquet comme un titre de gloire ; et chaque dimanche, tous les mamelouks ensemble, ouvriers et patrons, clercs et laïcs, descendaient le chemin de l’Estrée et s’en allaient boire quelques chopes ou « lutter, en de grands concours, au piquet ou au jeu de quilles pour gagner le prix, tantôt un lapin, tantôt un couple de pigeons [2], » Désiré Mercier, très simplement, très gaiement, se mêlait à ces joutes : il disputait le lapin, parfois il le gagnait ; et la soirée se terminait en longues causeries avec ceux qu’après un demi-siècle ses lèvres cardinalices appelleront encore « nos chers ouvriers brainois. » Un jour survinrent les délégués bruxellois de l’Internationale : en deux meetings, les Xavériens restèrent maîtres du terrain. Désiré Mercier se sentait devenir un lutteur, à l’école de ces vainqueurs.

Dans ce même « local » des Xavériens, où s’aiguisait son tempérament combatif, il voyait l’idée religieuse amortir les antagonismes sociaux et faire taire toutes les catégories de vanités, aussi bien celles qui eussent pu devenir insolentes que celles qui eussent pu se sentir humiliées : tous ensemble, on était des catholiques, une compagnie dans l’armée catholique qui, périodiquement, aux élections, arborait le programme catholique. Désiré Mercier, conscrit dans cette armée, s’habituait à associer à la pratique du zèle religieux l’idée de fraternité sociale ; et la conception qu’il se fera plus tard de l’attitude sociale du chrétien s’inspirera de cette camaraderie d’apôtres qui entraînait aux jeux, aux meetings, aux salles de scrutin, les mamelouks du pays natal.

Le collégien de Malines, le Mamelouk de Braine n’avait

  1. Œuvres pastorales, III, p. 109.
  2. Ibid. I, p. 292-294.