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et tous les officiers à la seconde, cette distinction et les gestes qu’elle impose, ont toujours fait partie de cet ordre naturel des choses dont un Anglais ordinaire ne s’avise pas de raisonner. Or, par amour du passé, l’armée nouvelle (si différente d’origine, et vingt fois plus nombreuse) tient à continuer l’ancienne. Elle n’a pas voulu de drapeaux nouveaux, et les vieux régimens durent s’agrandir de tous ses nombres. Comme elle en a repris les noms historiques, elle en a repris les traditions et consignes, dont le prestige est exactement celui d’une étiquette : une étiquette que l’on observe pointilleusement, parce que, en l’observant, on respecte l’armée, qui est l’œuvre de tous et de chacun, et que, soi-même, on se respecte davantage. Ainsi la tradition ajoute au prestige de la règle, si puissante et spontanément conçue, au pays du puritanisme et de la liberté. Voilà le trait qui, sous les gestes pareils, fait la différence profonde entre la discipline anglaise et l’allemande : c’est par un acte personnel que l’homme s’y soumet.

La sentinelle aux mouvemens d’automate n’était pas un automate, mais énergiquement un volontaire.


Le général nous a reçus. Je le revois, avec ses deux officiers d’ordonnance, dans le grand salon clair et lambrissé, de si parfaites proportions, où les verdures brumeuses du parc semblaient, dans les fenêtres cintrées, aux reflets glauques, de hautes et froides tapisseries. Des cartes a toutes les échelles couvraient les murs. D’autres se tendaient sur de longues tables à chevalets. Il y avait deux téléphones sur le bureau. Nous étions au centre cérébral où se projettent les images d’un morceau du front, et d’où partent les filets nerveux qui le commandent.

Il se penchait sur une feuille où deux enchevêtremens de lignes, l’un rouge et l’autre bleu, figuraient les labyrinthes opposés des tranchées.

« Ce matin, disait-il, c’est assez calme. Vous entendez le canon : c’est nous ; ils ne répondent pas. Mais souvent, c’est moins sain. Vous entrerez par ici : Hospital road et puis Cabaret road. N’oubliez pas de vous espacer. En tout cas, vous verrez des tranchées bien faites. Tout le monde y a travaillé : les Boches d’abord, à qui les Français les ont prises, et puis nous, à qui vous les avez passées. »