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qu’il peut faire contre nous que pour apprendre ce que nous voulons faire contre lui. Il ne parvient pas à se persuader qu’après avoir inutilement attendu tout le printemps l’heureuse coïncidence d’une offensive russe, nous laissions, cet été, passer, sans la saisir, l’occasion que nous offre la marche de Broussiloff et de Korniloff ; qu’après avoir tant proclamé la coopération des Alliés, nous n’y servions pas et ne nous en servions pas.

Peut-être aussi, à cet égard, quelqu’un chez nous qui, plus que tous, a le devoir de mesurer ses paroles a-t-il un peu inconsidérément enfreint la loi du bienfaisant et puissant silence ; des mots se sont en public envolés de la tribune, qu’il eût mieux valu retenir. A la guerre, il ne faut pas plus dire : « Nous ne ferons pas cela » que dire : « Nous ferons cela. » Combien de fois la Chambre n’a-t-elle pas, en France, invité le gouvernement à avoir et à pratiquer « une politique de guerre ! » Et il est parfaitement vrai que la guerre a sa politique, dont un des premiers élémens est à tirer de la psychologie même du peuple, du caractère, du tempérament national. Le premier devoir, la première règle, est par conséquent d’adopter une politique de guerre qui soit conforme, non pas contraire à cette psychologie, et ne puisse devenir déprimante par son inertie seule. Il y aurait plus d’une réflexion à faire sur cette observation du major Moraht : « Le Français privé d’espérances est, comme déjà le Gaulois, un navire aux voiles déchirées que la vague emporte à l’aventure ; » observation qui ne fait du reste que reproduire un trait des Ritratti delle cose di Francia, ou quelque autre trait, d’un plus âpre accent, du Ubelle Della natura de’ Francesi ; lesquels, au surplus, ne faisaient, il y a quatre siècles, que rajeunir des traits semblables de Tite-Live et de César. Certes, les Français d’aujourd’hui ne sont pas « privés d’espérances ; » la troisième année de guerre qui, en s’achevant, les laisse avec le droit d’inscrire sur leurs drapeaux les noms radieux de la Marne, de l’Yser, de l’Artois, de la Champagne, de Verdun, les laisse fermes en leur vaillance, inébranlables en leur confiance. Mais ce ne sont point des taciturnes, ou ils ne sont point comme le Taciturne. Ils ont besoin d’espérer pour entreprendre et de réussir pour persévérer ; d’espérer plus que de raison, de rêver un peu. Ils n’accomplissent tout le possible qu’en s’élançant vers l’impossible. On a dit de nos fantassins qu’ils gagnaient les batailles avec leurs jambes. Ils les gagnent bien plus sûrement encore avec des ailes.

Mais qu’est-ce que « gagner une bataille ? » L’avance et le recul sur le terrain, dans une pareille guerre, sont souvent si minimes, si imperceptibles,