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trines auxquelles il confiait le soin de conduire le navire où vogue Marie de Médicis. » Magnifiquement belle, sous la robe qu’on eût dite peinte par Ingres et modelée par Clodion ; plus belle encore sans la robe et seulement vêtue, l’acte suivant, d’un peignoir « qui semble une nuée tramée, — déchevelée, les épaules nues, aimable, souriante, ayant tout promis et tenant plus qu’elle n’a promis… » Enfin, les auteurs, MM. Bernard et Grangé : « La belle fille sourit du regard, les flammes de la rampe se reflètent dans ses dents blanches ; ou applaudit à tout rompre MM. Eugène Grange et Victor Bernard. Quoi ! cela aussi, ils l’ont fait ? La robe, les diamans, le chapeau, je le voulais bien ; mais tout cela, tout ce que montre à présent Blanche d’Antigny, se peut-il que ce soit aussi eux qui l’aient fait ? Dans ce cas, on aurait bien manqué de prévision en ne leur confiant pas l’exécution des groupes du nouvel Opéra ! » Banville est un excellent critique dramatique : il sait raconter une pièce et la juger.

Regrette-t-il le temps qu’il perd ainsi ? Je ne sais. Il a tant de grâce aimable et d’enjouement ! Presque toujours, il a bien l’air de s’amuser, avec indulgence ou avec politesse. En outre, sans pédantisme aucun, sans morgue magistrale et sans la dérisoire brutalité de nos doctrinaires ou partisans, ce poète dévoue aux Muses tout son efîort très attentif et scrupuleux. Il veille autour d’elles. Il est là pour empêcher que l’on n’aille à confondre avec la littérature les séductions d’une autre sorte qui valent à MM. Bernard et Grange la faveur publique et pour empêcher que l’on n’appelle poésie les vers de M. Scribe, sa bête noire. Le pauvre poète des Huguenots, comme il le taquine, dans le Petit traité de Poésie française ! « M. Scribe avait reçu le don de ne pas rimer ; il le posséda jusqu’au miracle… » Et Banville ne voit qu’un autre poète à lui comparer, pour ce don miraculeux : c’est Voltaire. Il y a de plus fâcheuses compagnies ! Dès 1849, Banville examinait l’art de M. Scribe, son art et sa pensée. Mais, la pensée de M. Scribe, il ne la comparait point à celle de Voltaire. Il comptait qu’avec une seule de ses idées, — et que voici : « Mon Dieu, si c’est un songe, faites que je ne m’éveille pas ! » — M. Scribe avait gagné plus de dix mille francs. Non pas d’un seul coup, certes ; mais, sa phrase du songe et du réveil refusé, M. Scribe l’a écrite « au moins trois cents fois, » dans ses opéras, dans ses comédies. Banville, un jour, vit son opulente victime. Et « le prince des librettistes » lui parut, mieux que beau, superbe ; ah ! quel homme ! Vous croyez le connaître ; vous avez vu ses bustes , ses portraits. . . Vous ne le connaissez pas : les sculpteurs, les peintres, les dessinateurs, les