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au long de certaines œuvres complètes. Quant aux vertus de la profession, que l’on veuille relire, dans les Pages de critique et de doctrine, le poignant chapitre que Bourget consacre à Théophile Gautier. Celui-là, « Cellini de la prose et des vers, » a porté un lourd fardeau ; et, par les mémoires, — le Collier des jours, de Mme  Judith Gautier, les Souvenirs de M. Emile Bergerat, — l’on sait qu’il a dû geindre de fatigue. Assez tard dans sa vie, et quand il était l’auteur de la Comédie de la mort et d’España, d’Émaux et Camées, de Mademoiselle de Maupin, de la Morte amoureuse , — « autant de merveilles, et ce n’est qu’une très petite partie de son œuvre, » — il accomplissait encore, et n’y pouvait manquer, sa tâche de feuilletoniste et de salonnier, sa tâche depubliciste. Poète et l’un des plus parfaits, il assistait, et ne pouvait s’y refuser, à tout le vain trémoussement du théâtre ; et il a risqué cette confidence, un jour : « C’est un art si abject, le théâtre, si grossier ! » Il disait : « L’odeur de l’encre de l’imprimerie, il n’y a plus que cela qui me fasse marcher ; » et il disait encore : « Je ne travaille qu’au Moniteur, et à l’imprimerie. On m’imprime à mesure… Et ça m’ennuie ; ça m’a toujours ennuyé, d’écrire !… » Évidemment, on l’engageait à se reposer. En 1868, à cinquante-sept ans, il répondait : « J’ai trois louis sur moi et il y a cent quarante francs à la maison… Si j’avais le malheur d’être malade quinze jours, ça irait encore, en déménageant. Si la maladie durait six semaines, il faudrait que j’aille à l’hospice Dubois, comme les autres… » Il ajoutait, et voici tout son chagrin : « C’est peut-être le pain sur la planche qui m’a manqué pour être l’un des quatre grands noms du siècle. Mais, la pâtée !… » Ces aveux-là ne sont pas dans son œuvre. On a bien fait, d’ailleurs, de les noter : ils donnent à son œuvre, où il ne daigne pas se plaindre, une signification de souffrance, de courage et de bel orgueil. Ce qu’il a enduré, s’il en admet le souvenir en son poème, tourne à un badinage de sourire momentané :


Mes colonnes sont alignées
Au portique du feuilleton.
Elles supportent, résignées,
Du journal le pesant fronton…


« Jusqu’à lundi je suis mon maître… » Il ne songe plus qu’à s’enivrer « du vin de sa propre pensée, » du vin que « répand la grappe de son cœur, » écrasée par la vie. Les petits vers du poème intitulé Après le feuilleton dansent avec une allégresse blessée et menacée.

Théodore de Banville a été feuilletoniste dès la vingt-cinquième