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Kitchineff des troubles agraires ont éclaté. Les paysans se sont emparés de deux plantations de tabac et ont blessé les gardiens à coups de pied. De Sibérie on signale des troubles sur plusieurs points. Les propriétaires de Krasnoïarsk, par exemple, reçoivent de nombreuses lettres anonymes où on les menace de brûler leurs maisons. Les pillages provoquent la panique. La population n’ose pas dormir la nuit dans la crainte des incendies.

« Les derniers momens sont arrivés ! » disent les paysans.

Partout des incendies s’allument, l’anarchie règne... Les rumeurs les plus invraisemblables trouvent des oreilles pour les accueillir... La campagne est littéralement « assommée » par la soudaineté et l’importance démesurée de cette révolution qui dépasse son entendement. On est terrifié... Là-bas, dans la capitale dont bien peu se font une idée exacte, quelque chose d’effroyable s’est passé qui a balayé les fondemens séculaires de la vie russe. On en veut à cette force et on la redoute. Elle apparaît comme une puissance ténébreuse contre laquelle on est désarmé. Même l’arrivée possible de l’Allemand n’effraie plus. On va jusqu’à dire que « peut-être ce sera mieux avec lui parce qu’il mettra de l’ordre. » Car on a conscience du chaos dans lequel on se débat. Les soupçons se développent jusqu’à en être maladifs...

Un beau matin, un village s’agite, comme une ruche inquiète. Le peuple court vers les granges, on entend des voix animées, des cris... Que se passe-t-il ?... Ceci : Derrière les granges il y a un groupe d’individus. Personne ne les connaît. Ils interrogent les femmes ; ils demandent à chacun compte de ce qu’il possède. Ils ne ressemblent pas à des Russes... Certainement ce sont des étrangers venus pour s’approprier le blé... Des voix crient : « Où sont donc les moujiks ?... Vite ! qu’ils prennent des haches et des bâtons ! » Et voilà le village en rumeur. Or, le plus souvent, les malheureux contre lesquels le paysan s’ameute sont ou des ouvriers chargés de quelque mission technique, ou des envoyés du gouvernement pour négocier l’achat du blé ! Il est vrai que certains accapareurs sans scrupules ont plus d’une fois spéculé sur l’ignorance ou la timidité native du paysan !... Et maintenant l’on se méfie.

Le paysan refuse de vendre son blé, car il a peur de manquer de pain. La grange lourde lui fait l’âme légère. Plus à l’aise