Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/686

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jeudi, vendredi et samedi on agite la question du changement de ministère. Le Conseil des délégués des ouvriers et soldats ainsi que les extrêmes gauches s’opposent à la formatien d’un ministère coalisé. La tension extérieure augmente, à propos du torpillage du Zara, qui transportait les socialistes russes. Les Isvestia, organe du Conseil, écrivent qu’il faut exiger des explications de l’Angleterre… L’anarchie règne dans les provinces ; on pille, on tue ; le partage des terres a commencé sur plusieurs points…

Le 29 avril/13 mai, la Rouskia-Volya publie en vitrine un télégramme de son correspondant de Paris, sur un article paru dans un grand journal du soir à propos du Congrès des officiers et soldats du front : « Que penseraient les Russes, si 2 000 officiers et soldats réunis à Paris y discutaient la cessation ou la continuation de la guerre ? » Grande émotion qui, des abords de la Rouskia-Volya, se répand aussitôt dans la ville : « La France ne veut pas nous comprendre ! Elle en est encore à cette crainte de paix séparée dont nous n’avons jamais eu l’idée. Ce n’est pas la cessation de la guerre que l’on discute à Pétrograd : c’est la possibilité d’une paix juste et équitable pour tous, faute de quoi nous continuerons la guerre. Comment les journaux français sont-ils si mal renseignés ou si peu compréhensifs ? » Tels sont les propos que l’on entend jusqu’à une heure avancée de la nuit.

Le lendemain, je me rends au Congrès des officiers et soldats du front, qui siège au Palais de Tauride, dans la salle des séances de la Douma.

Comme le palais s’est démocratisé ! Quelle ne serait pas la surprise de son ancien possesseur, le prince Potemkine, favori de Catherine II, s’il y revenait ! Les tableaux qui ornaient le grand vestibule, le portrait du tsar, bref tout ce qui rappelait l’ancien régime a disparu. Sous la rotonde où trône encore le buste du prince, sont placées des tables, d’apparence très démocratique. Derrière, un soldat siège et vend au public les prospectus, les brochures, les journaux de propagande dont elles sont chargées. Des affiches collées aux colonnes, des pancartes laquées aux murs, rompent très peu harmonieusement l’ordonnance des lignes architecturales. Pourquoi le souci de l’art et de la beauté meurt-il toujours avec l’avènement des démocraties ? Oui, je sais, les démocraties sont houleuses, mouvantes