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enthousiaste, s’efforce de dissiper la fâcheuse impression produite par le discours du maire. De taille moyenne, nerveux, agile, il scande ses paroles d’un énergique mouvement de la tête, brusquement jetée de côté. Tout à l’encontre du maire, son discours n’est qu’une succession de phrases vigoureuses, toutes vibrantes de sympathie pour la communauté d’idéal qui, dans l’heure présente, lie au même combat l’Amérique et la France. Et le chef de la mission française de se lever, dans une acclamation formidable : « Ce qui fait en effet la grandeur de la France dans le monde, c’est qu’elle n’a pas seulement travaillé et souffert pour elle-même, mais qu’à travers sa longue histoire, c’est à l’humanité qu’elle a pensé. »

A peine a-t-il commencé que, sans avoir besoin de comprendre et comme s’il devinait, au simple mouvement de ses lèvres, accompagné de la ponctuation de son geste, l’auditoire le suit. Trois cents personnes à peine le comprennent, cinq cents parmi les autres le devinent. « Entre les cœurs, a-t-il dit le matin au Chicago Club, il y a un langage mystérieux qui parle plus que les mots. » Il suffit que ces mots, Serbie, Belgique, Angleterre, Amérique, France, Marne, reviennent pour que ceux qui les entendent, sans d’ailleurs savoir le français, saisissent et se laissent emporter par le magnifique mouvement d’une irrésistible éloquence.


5 Mai.

Les journaux du matin sont enthousiastes. Joffre, disent-ils, a fait une nouvelle conquête : celle de la ville. Mais le ciel est toujours hostile. Quand, vers dix heures, la mission quitte la somptueuse résidence mise par M. Crane à sa disposition dans l’élégant quartier du Lake Shore, c’est à peine si quelques éclaircies bleues passent dans le moutonnement blanc des nuages. Le vent qui les pousse soulève le lac houleux. Après une courte visite au musée, face au Chicago Club, le cortège se met en marche par le boulevard Michigan : à sa gauche, la gigantesque muraille, grise et nue, des gratte-ciel ; à sa droite, la grande nappe jaune et tourmentée du Lac, où quelques noires silhouettes de navires se dégagent d’un fond de brume. Sur le trottoir et les quais, une foule énorme, difficilement contenue par la haie serrée des policiers de haute stature, fait une ovation aux deux chefs, civil et militaire, de la mission, quand, cédant