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maison qui se respecte tend à se rapprocher. De là ces noms à la fois féodaux et campagnards dont se décorent les moindres villas des faubourgs ; de là leur parure étudiée de fleurs et de feuillages, et, peut-être, la tradition qu’est, en Angleterre, l’art de la serre et du jardin. De là l’importance de ces distinctions qui font le degré de dignité sociale d’une maison, et que ne manque pas de faire sonner un commissaire-priseur : semi detached, — detached, — standing in its own grounds — (dans le premier cas, on dit this genteel house ; dans le dernier, on prononce le mot de residence, évoquant la condition d’une famille qui vit dans ses terres). De là le décor aristocratique et rustique des grandes écoles, des vieux collèges d’université : c’est presque la vie de château que l’on mène en ceux d’Oxford, coupée de rudes parties de foot-ball et de lectures grecques sur des pelouses de velours. De là, enfin, toutes ces demeures modernes de nouveaux riches qui s’espacent, au milieu de leurs bois et de leurs parcs, dans la campagne anglaise : campagne féodale, et non paysanne, disait un Américain, en la comparant à la terre de France. Il est entendu que l’existence menée en ces amples domaines par les hommes de la landed gentry (on sait la valeur sociale de ce mot, et de quel ton on le prononce) est le type accompli de la vie anglaise. Un Américain y trouvait tant de dignité et de bonheur qu’il disait avec sérieux : « de la vie et de la félicité humaines. » Tout bourgeois anglais qui travaille à la ville y aspire. C’est celle que mène, dans sa retraite de Sandringham, le Roi, simple squire ou gentilhomme campagnard, à côté de ses fermiers et de son ami le recteur. Et l’Etat anglais s’est occupé tout de suite de l’organiser pour ses invités dans un manoir de France, en chargeant un officier de jouer le rôle de maître et de maîtresse de maison, de veiller à la perfection silencieuse et automatique du service : eau chaude, le matin et le soir, devant les portes, — puisque, hélas ! un vieux château français est dénué de tuyauteries modernes, — papeterie bien garnie dans les chambres, fleurs sur les tables, vaisselle sérieuse, vins honorables, cigares de qualité.


A huit heures et demie, la profonde rumeur du gong, et puis un solide et tranquille déjeuner à l’anglaise : ce n’est pas pour les damned Germans qu’il convient de changer nos habitudes.