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de sa face, tracé par le soleil avec la netteté d’une eau-forte dans l’air absolument limpide, Saisissait brutalement le regard, accablant l’esprit comme pourrait le faire un monde nouveau, fatiguant l’œil comme fait un gigantesque agrandissement photographique. Le tout nous fut caché de nouveau par un tunnel de neige assez large pour un véhicule et deux mules. Le tunnel était d’un brun sombre là où son toit était épais, et éclairé par une lueur bleuâtre et qui ne semblait pas de ce monde là où il était mince, et finissait soudain dans une lumière aveuglante là où la chaleur de mai avait fait fondre sa voûte. Mais on marchait tout le long du chemin sur du sable fin et, de chaque côté, des rigoles recueillaient avidement, pour l’entraîner bien vite, la neige qui s’égouttait. A l’air libre ou dans les ténèbres, l’Italie ne fait qu’une seule espèce de route.

— C’est notre nouvelle route, m’expliquent les joyeux garçons. Elle n’est pas tout à fait terminée... Mais si vous voulez monter sur cette mule, nous vous conduirons jusqu’où elle doit aller... seulement à quelques pas plus haut.

Je lève de nouveau les yeux et regarde entre les orgueilleux talus de neige. Il n’y a pas une ride sur la face de la montagne maintenant ; mais des pinacles lisses, couleur de miel, se forment en grappes comme des écoulemens de chandelle, autour du corps principal du rocher impassible. Et toute cette architecture penche vers moi. Sur la route se mêlent le sable, les pierres et les équipes de travailleurs. Personne ne se presse ; personne ne se met dans les jambes de son voisin ; on donne très peu d’ordres ; mais il semble que la mule elle-même trace la route à mesure qu’elle grimpe le long de ses lacets.

Il y a, en Suisse, au pied de certaines montagnes russes, de petits ascenseurs qui pour cinquante centimes hissent les sportsmen et leurs toboggans jusqu’au sommet en funiculaire. La même installation est établie ici sur une plate-forme taillée dans le roc : elle a exactement la même odeur de planches fraîches, de pétrole et de neige, le même grincement de crampons sur le sol bourbeux. Mais au lieu du chemin de fer à crémaillère, un fil d’acier, soutenu par de frêles étais et portant une corbeille en treillis d’acier, escalade la face du roc à un angle qui n’a pas besoin d’être spécifié. Comme chemin de fer ce n’est rien, et le fait est qu’on a vu de plus grandes lignes, en bas, dans les vallées, et qui montent plus haut ; mais,