Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/616

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chambre souterraine où il n’y avait à peu près rien à craindre des obus qui troublent les blessés et ébranlent l’appareil radiographique. Elles ajoutent :

— N’était-ce pas aimable de la part des autorités ?


V. — LA VEILLÉE DES CANONS

Les étonnans camions automobiles serrent la file sur la route encore plus étonnante. Notre compagnon s’excuse pour eux.

— Vous voyez, nous avons eu quelque chose à transporter là-haut, au front, par ce chemin-là, pendant les derniers jours.

Nous nous dirigeons vers le haut des collines par des routes qui ne sont pas encore sur les cartes, mais qui ont toute la résistance qu’à force de travail on peut leur assurer contre la charge roulante des camions et les sabots tranchans des mules aussi bien que contre la détérioration de l’hiver qui est pour des routes le véritable ennemi. Celle où nous nous engageons suit les derniers replis d’une chaîne qui n’a guère que trois ou quatre mille pieds, plus ou moins parallèle au cours de l’Isonzo descendant du Nord. Des rivières, qui avaient grondé à notre niveau, dégringolent et finissent par ne plus paraître que des filets bleus presque invisibles à travers la forêt. Les montagnes avancent des genoux durs et schisteux autour desquels nous grimpons en faisant mille lacets qui déconcertent toute orientation.

Comme l’ennemi, à sept milles de là, avait vue sur nous, on avait masqué avec des nattes de roseaux certaines parties de la route encombrée ; mais des trous déchiquetés, au-dessus ou au-dessous de nous, prouvaient que l’ennemi l’avait serrée de près dans ses recherches. Ensuite, le colossal giron d’une montagne tout animée d’eaux qui s’égouttent nous cacha dans la verdure et l’humidité, jusqu’à ce que la vue d’un frêne circonspect encore en bourgeons — nous avions vu ses frères, il y a dix minutes, vêtus de la tête au pied, — nous annonçât que nous nous étions élevés de nouveau à la hauteur de la zone aride. Il y a là batteries sur batteries des plus lourdes pièces, disposées et cachées avec tant de variété qu’il ne sert à rien d’en découvrir une pour être sur la trace des autres. Des pièces de onze, de huit, de quatre, de six, et de onze encore sur des roues rampantes, sur des affûts de marine adaptés au service de terre, séparés de leur