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plus inattentifs ou les plus prévenus. On a pu voir où tendaient les ambitions germaniques, et qu’elles ne visaient à rien de moins qu’à la domination du monde. On a pu se rendre compte que la lutte n’était pas seulement entre deux groupes de puissances rivales, mais entre deux conceptions opposées du monde et de la vie, entre la démocratie et l’autocratie, entre la civilisation et la barbarie, entre le christianisme et le paganisme. El quand, à la lente lumière des faits contrôlés et vérifiés, les incertitudes et les équivoques du début eurent peu à peu disparu, le monde entier dut faire son choix. Au contact de la France républicaine, la Russie a pris conscience de son nouvel idéal, de sa future mission historique. Est-il vrai, comme on l’a dit, que dans les commencemens de l’alliance franco-russe, un haut personnage de l’entourage du tsar répondit à un Français qui s’étonnait de la froideur avec laquelle il était accueilli en Russie : « Vous nous apportez la-Révolution ? » Si le mot a été prononcé, il était prophétique. La France, — nous le voyons aujourd’hui de mieux en mieux, — aura largement contribué à détacher la Russie des influences et des intrigues germaniques, à l’introduire dans le chœur des grands Etats démocratiques contemporains, et à faire cesser, aux yeux des ennemis du « tsarisme, » une apparente contradiction dont triomphaient trop aisément nos adversaires.

Et la France enfin n’aura pas peu contribué à déterminer les Etats-Unis à joindre leur cause à la nôtre. Assurément, il serait d’un chauvinisme un peu puéril de prétendre que, sans la France, ils ne seraient pas entrés en guerre ; mais peut-être, sans elle, y seraient-ils entrés moins généreusement et plus tard. Il est difficile de sonder les reins et les cœurs, et les raisons d’un acte collectif aussi grave sont nécessairement multiples et complexes. Un amour passionne du droit et de la justice, le désir de fonder une paix durable, sinon éternelle, et de soustraire à la simple violence l’avenir des relations internationales, le désir aussi de créer l’unité nationale de sa jeune patrie, de fondre ensemble les divers élémens ethniques qui la composent, et, en les mêlant à de vieux peuples, en les associant à une œuvre hautement humaine et désintéressée, de les faire entrer dans l’histoire, de leur constituer une tradition, de les encadrer dans un peu de passé : voilà, selon toute vraisemblance, les idées et les sentimens essentiels, et, pour ainsi dire,