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telle que celle-ci, et il faudra bien qu’il surgisse un jour le grand poète qui immortalisera cette merveilleuse épopée ! On n’a qu’à puiser à pleines mains dans les récits qui nous sont parvenus pour voir se lever devant nos yeux d’étonnantes visions épiques. C’est l’arrivée sur le champ de bataille de Douaumont des premières unités du 20e corps : elles sont harassées, fourbues, transies de froid, incapables, semble-t-il, du moindre effort : quelques paroles de Castelnau les galvanisent ; elles entrent en ligne, elles attaquent ; l’ennemi recule ; la situation est rétablie. Le sort en est désormais jeté. « Il ne faut pas qu’ils prennent Verdun, a dit le grand chef. Et ils ne prendront pas Verdun. » C’est l’admirable retraite du bois d’Haumont : deux divisions françaises contre deux corps d’armée allemands qu’elles arrêtent pendant plusieurs heures : un sergent, le meilleur tireur de son bataillon, voyant l’ennemi s’avancer, sort de sa tranchée ; il est entièrement exposé aux balles et à la mitraille ; par-dessus le parapet, ses camarades lui passent des fusils chargés l’un après l’autre ; il abat successivement soixante Allemands, et il n’a pas une égratignure. Une batterie de 75 a tiré sept ou huit cents coups sans interruption ; il faut attendre, pour continuer le tir, que les pièces soient refroidies ; pas d’eau, sauf dans les bidons des hommes ; qu’à cela ne tienne ! Ils ont beau mourir de faim et de soif : sans en distraire une goutte, ils vont réserver toute leur provision d’eau pour refroidir leurs canons : et n’est-ce pas là un symbole émouvant de la modeste abnégation française ? C’est, au bois des Caures, le tragique sacrifice du lieutenant-colonel Driant et de ses chasseurs. C’est, le 22 mai, la « magnifique » reprise du fort de Douaumont, dont un colonel disait : « J’ai fait vingt-cinq campagnes, je n’ai rien vu de plus beau que cet assaut. » C’est cette prodigieuse défense du fort de Vaux, à laquelle l’ennemi lui-même a cru « devoir payer le tribut de la plus haute admiration. » C’est enfin, — car on ne peut tout dire, — la conquête, cette fois définitive, de Douaumont, puis de Vaux, et l’élégante annulation, en quelques heures d’attaque, de dix mois d’efforts incessans et de sanglans sacrifices. Le 1er mai, après soixante-dix jours de bataille, en transmet- tant au général Nivelle le commandement de la 2e armée, le général Pétain disait déjà de la bataille de Verdun qu’elle était « une des plus grandes batailles que l’histoire eût enregistrées, »