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et ses plus utiles réserves, ses milliards et ses espérances. Nous jugeant toujours incapables d’une longue résistance, elle voudra nous user, nous accabler sous le poids de ses obus, de ses attaques massives ; elle conservera l’espoir, en gagnant de temps à autre, au prix des pertes les plus sanglantes, quelques mètres de terrain, de nous faire lâcher prise, de parvenir enfin au cœur de l’inviolable citadelle. Et certes, elle obtiendra quelques avantages : elle prendra, elle gardera quelque temps Douaumont, Thiaumont, Vaux, Fleury ; elle progressera sur les pentes du Mort-Homme, elle menacera le fort de Souville, mais Verdun restera inviolé. Cinq milliards de munitions, cinq cent mille hommes auront été sacrifiés en pure perte. Le prestige de l’armée allemande aura reçu une atteinte mortelle.

Car l’Allemagne, il faut le reconnaître, avait fait contre Verdun un colossal, un suprême effort. Ni Hindenburg, ni Mackensen, il est vrai, ne semblent avoir collaboré, même de leurs conseils, à l’entreprise, qu’ils auraient désapprouvée, paraît-il : mais qu’auraient bien pu faire Hindenburg et Mackensen de plus ou de mieux que Falkenhayn et les autres conseillers militaires de Guillaume II et de son fils ? Jamais moyens matériels plus puissans ni plus abondans n’avaient été utilisés dans une action offensive : Charleroi, l’Yser, la Dunajec, la Champagne n’étaient, à cet égard, en comparaison de Verdun, que des opérations secondaires. D’autre part, des troupes d’élite furent engagées dans cette interminable bataille, et si quelques-uns de leurs procédés de guerre sont parfaitement abominables, il y aurait une injustice un peu puérile à contester leur bravoure disciplinée, méthodique et farouche. Enfin, s’il n’est pas tout à fait exact, comme l’a dit un des nôtres, que le génie ne soit qu’une longue patience, il est incontestable que le génie allemand est surtout fait de patience, d’une patience obstinée et tenace, que rien ne rebute ni ne décourage. Il semblait que, sur ce terrain-là, — et l’Allemagne y comptait bien, — les Français, le peuple léger et impatient par excellence s’imaginait-elle, dussent finalement et fatalement être vaincus.

Vains calculs et vains efforts ! L’Allemagne, une fois de plus, n’avait pas compris et avait calomnié la France. Le Français passe pour léger, parce qu’il sait sourire, et, dans les intervalles de ses misères, il souriait, même à Verdun ; mais il sait être grave quand il le faut ; et surtout, il met son point