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présent peut mettre en œuvre : long entraînement méthodique, « répétitions » minutieuses, suralimentation abondante, prescriptions détaillées et despotiques, virulentes exhortations impériales. Chaque homme devenait l’un des innombrables rouages nécessaires et aveugles d’une colossale machine de meurtre. Rien n’était laissé au hasard ou à l’imprévu. Jamais pièce de théâtre n’a été « montée » avec un tel luxe d’acteurs, (le rôles scrupuleusement appris, d’accessoires, de costumes et de décors. Une artillerie formidable, inouïe, paradoxale avait été réunie, qui devait faire pleuvoir, jour et nuit, sans trêve, sur les positions françaises, une pluie diluvienne d’obus de tout calibre, d’explosifs de toute composition, et à laquelle aucune puissance humaine ne semblait devoir résister : fusans, percutans, shrapnells et « marmites, » obus lacrymogènes et suffocans, gaz asphyxians, liquides enflammés, toutes les variétés d’engins destructeurs que le sadisme sanguinaire de l’Allemagne a pu inventer ou exploiter seront utilisés avec une ‘profusion dont rien encore n’a pu donner une idée. C’est le triomphe de la machinerie homicide et de la science mise au service de l’assassinat.

En face de cette organisation puissante, disciplinée, brutale, toute tendue vers une offensive d’écrasement impitoyable, une défense qui a su habilement renforcer et mettre en valeur les avantages naturels d’une situation exceptionnelle, mais qui présente de dangereuses lacunes : peu d’artillerie, surtout peu d’artillerie lourde ; des mitrailleuses, des fusils, surtout des poitrines humaines. Il semble que, cette fois encore, comme à Charleroi, comme sur la Marne, comme sur l’Yser, la partie ne soit pas égale, et que le succès soit mathématiquement, infailliblement assuré à l’Allemagne, à la force monstrueuse de terreur et de mort. Comment l’ingénieux et imprévoyant Ariel pourrait-il résister au rude gantelet du terrible Caliban ? Et ne faudrait-il pas un miracle pour le sauver ? Le monde entier a les yeux fixés sur ce coin de terre historique où va s’engager, dix mois durant, une lutte titanesque. Comme aux journées épiques de la Marne, ce ne sont pas seulement deux armées qui vont s’affronter entre ces bois et ces collines ; ce sont deux peuples, ce sont doux races, avec leurs vertus et leurs défauts mêlés, ce sont deux génies ethniques différens. La bataille de Verdun, c’est le duel de deux âmes.