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Hongrie. L’expédition des Dardanelles semblait reprise dans des conditions qui devaient en assurer l’heureuse issue. En dépit de leurs nouveaux gaz asphyxians, la deuxième bataille d’Ypres n’avait été, pour les Allemands, qu’un succès local et sans lendemain. Nous commencions en Artois une offensive qui s’annonçait victorieuse, et que beaucoup espéraient libératrice. Enfin, l’Italie secouait ses chaînes, et, après d’apparentes hésitations qui dissimulaient une méthodique préparation politique et militaire, elle prenait place à nos côtés pour combattre l’éternel ennemi de la civilisation latine.

Les déceptions vinrent, hélas ! assez vite. Malgré tout l’héroïsme déployé, et des souffrances sans nom, nous ne parvenions pas à forcer le passage des Dardanelles. Nos victoires de Carency, de Neuville-Saint-Vaast, d’Ablain-Saint-Nazaire, certes réelles et dignes de la vaillance française, ne produisaient pas tous les résultats qu’on en attendait : nous n’avions pas percé les lignes ennemies, et nos villes du Nord restaient sous le dur joug de l’étranger. Surtout, nous apprenions que les Russes, dépourvus d’armes et de munitions, soumis au feu écrasant d’une artillerie formidable, avaient subi, sur les bords de la Dunajec, une lourde défaite, et, sans rompre leur front, il est vrai, en se défendant avec une ténacité admirable, reculaient, reculaient toujours, perdant l’une après l’autre toutes leurs conquêtes, laissant même progressivement envahir leur propre territoire…

Ah ! le lourd, le morne et sombre été qui suivit ! L’activité militaire se raréfiait sur notre front, et les opérations, d’ailleurs secondaires, qui s’engageaient ne nous étaient point partout favorables. Si nous progressions en Alsace, nous reculions en Argonne. On sentait, comme nous venons de le sentir encore, rôder partout l’espionnage allemand, épiant nos moindres gestes de lassitude, prêt à insinuer ses louches offres pacifiques. Les paroles officielles, qui auraient pu dissiper cette atmosphère de malaise, entretenir la confiance publique, se faisaient plus rares, elles aussi. Et les mauvaises nouvelles du front russe tombaient sur notre cœur avec la sourde régularité d’un glas funèbre : Przemysl, Lemberg, Varsovie, Kovno, Novo-Georgiewsk, Ossoviecz, Brest-Litowsk, aucune ville, aucune forteresse ne résiste à ce déluge de fer et de feu que font pleuvoir les canons allemands. La guerre industrialisée, mécanisée,