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lui, elle devenait orgueilleuse ; près de lui, l’amour humble, ardent, voluptueux et simple dominait seul tout son être. Trop emportée par la passion pour rester coquette, elle oubliait sa beauté et servait en silence son maître le forgeron.

Elle aimait à le voir à la forge, debout, les manches retroussées jusqu’aux épaules, battre à grands coups le fer incandescent et arracher de l’enclume des gerbes d’étincelles. Souvent, quand elle avait fini son travail dans la chambre et au petit jardin où elle faisait pousser des légumes, elle venait, le tricot dans les mains, s’asseoir près de la porte, au fond de la forge et le regarder. Le bruit de son souffle entre les coups la traversait comme une flamme. Parfois des cliens entraient et engageaient la conversation avec Heemskerque ; mais quand ils s’apercevaient soudain de la présence de Gotton dans l’ombre noire, ils étaient pris de malaise et abrégeaient l’entretien. Cette belle fille pécheresse, avec son regard intense, leur représentait vaguement Vénus, la diablesse qu’adoraient les païens et pour qui se perdent tant d’hommes.

La journée faite, Luc disait souvent à Gotton : « Viens-tu faire un tour ? » Et Gotton, qui n’osait presque pas sortir seule à cause des mauvais propos, souriait avec reconnaissance et s’en allait changer de tablier. Alors ils partaient, en se donnant le bras, par un sentier qui filait derrière leur jardin, droit à travers champs, et si loin qu’on pût voir de ce côté-là il n’y avait que la plaine verte ou bigarrée, blonde ou rousse ou encore bleue selon l’heure et les saisons. Au printemps, Luc passait des branches d’aubépine dans le chignon de Gotton pour voir son clair visage lui rire dans une broussaille de fleurs blanches. Il lui disait tout bas des mots de passion et rafraîchissait contre son cou et ses joues une tête enflammée par le feu de la forge. Heureuse et docile, elle se prêtait à la violence des caresses. Elle était comme une fleur toujours fraîche, intacte, resplendissante dans l’insatiable tempête de l’Amour. Mais lui, parfois, avait une façon de la regarder sauvage et presque triste qui l’effrayait. Elle était restée un peu timide avec lui, parce qu’il était beaucoup plus âgé qu’elle et si fort, si actif, si résolu ! Sous les duretés de son père, elle avait toujours senti les inquiétudes d’une nature craintive : la peur de l’enfer, la peur de la rumeur publique, la peur de la ruse et de l’ardeur féminines, tels étaient les vrais ressorts de la vertu et des sévérités de Connixloo.