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maintenir, elle exige de l’attention, un effort continu. Et puis, en se maintenant, elle enveloppe l’âme de suggestions d’ordre et de volonté. Dans les plus pauvres quartiers de Londres, cette idée se manifeste en des établissemens comme Toynbee Hall, dont l’architecture intérieure, le décor, le mobilier, qui rappellent les collèges d’Oxford, veulent suggérer à une plèbe trop apathique la notion et le goût d’un certain degré de bien-être, le désir de faire effort pour s’y hausser. Soutenir la créature contre les influences qui dépriment, — misère, surmenage, vice, sombre laideur et monotonie du milieu industriel ; défendre, accroître ce que Ruskin appelait « la première des richesses, » la quantité de vie de l’individu et du groupe, telles sont en Angleterre les fins directes de tout l’effort social ; et l’on sait combien de sociétés, ligues, clubs y travaillent depuis le milieu du XIXe siècle, combien d’églises et chapelles aussi, car à ces fins la religion, toujours pratique en ce pays, confond de plus en plus les siennes [1]. Tout à l’heure, au cercle des officiers où je feuilletais des journaux, l’idée m’apparaissait en toute clarté, illustrée par une image parlante que publie dans le Morning Post l’œuvre anglicane des Huttes du Soldat. On voyait un paysage du front. Au loin, des arbres mutilés, des éclatemens d’obus. Au premier plan, des hommes se poussent, boueux, harassés, trop nombreux pour entrer tous, à la porte d’un de ces Pavillons de Récréation que signalent la croix et le drapeau de l’œuvre. Alentour, une série de médaillons, montrant par le détail les divers bienfaits de l’institution. Il en est deux qui résument tous les autres. Le premier porte ce titre : Nourriture du corps. Des soldats en casques assiègent un buffet chargé de bonnes choses : théières fumantes, bouilloires sur des réchauds de cuivre, piles de sandwiches, jattes d’oranges et de gâteaux. Deux amis, joyeusement attablés, soufflent sur leur Bovril en piquant de la fourchette un solide morceau de jambon. L’autre vignette est intitulée : Nourriture spirituelle. Les mêmes Tommies, sac au dos, tête nue, à genoux, s’inclinent sous la main du prêtre qui tend à l’un d’eux le Sacrement. Ce qui frappe, en ces deux tableaux, c’est l’air de calme, honnête énergie de ces hommes. Les certitudes de la religion s’ajoutent aux influences salutaires du bien-être et d’un milieu bien

  1. Ainsi le mot salvation, dans Salvation Army, a presque changé de sens. On le traduirait aujourd’hui plutôt par sauvetage que par salut.