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comme les chaumières, il longe des canaux où les péniches noires sur l’eau luisante semblent cheminer dans un rêve accablé, — morne route ! Lorsqu’il voit jaillir sur la mince zone ambrée de l’horizon l’aérien clocher, il jouit d’un soudain allégement. La flèche de pierre entraîne vers les hauteurs les soupirs qui se perdaient tristement dans l’immensité de la plaine. Ranimé comme par un signe d’appel et d’espérance, le voyageur se hâte ; et s’il s’arrête au crépuscule sur la place plantée de tilleuls où bruit une petite fontaine, parmi les humbles maisons rangées en rond devant lesquelles barbotent quelques canards, s’il contemple la vieille église recueillie et parée sous ses joyaux, il en frissonnera peut-être comme s’il découvrait une grotte aux fées.

Depuis bientôt vingt-six ans, — l’on m’assure que l’occupation allemande n’y a rien changé, — les habitans de cette petite place voient entrer dans leur église, tous les jours, à midi, puis de nouveau le soir, entre chien et loup, un personnage grand, mince, aujourd’hui courbé et dont la barbe, longtemps très noire, commence à blanchir ; c’est le sonneur et chantre Connixloo. Lorsqu’il a sonné l’Angelus, il traverse la place de son pas long et mécaniquement hâtif, regagne sa maisonnette située en face de l’église et se rassied à l’établi de cordonnier où les gens de Metsys lui apportent leurs souliers à rapiécer. C’est un homme solitaire ; les matrones du village ne s’attardent pas auprès de son établi. La solennité des grand’messes dominicales où, depuis tant d’années, il chante seul et debout, dans la première stalle du chœur, l’Introït et le Kyrie, le revêt d’un prestige permanent. Sa figure maigre et triste, l’expression sévère de son nez aquilin et de sa bouche serrée intimident. On respecte ses habitudes de silence. On sait qu’il a eu de grands malheurs, mais personne, hormis le curé, n’ose jamais l’en entretenir. Sa grande piété l’enveloppe de mystère et le protège des indiscrétions. On se dit que c’est un homme qui a société dans l’autre monde. Le cadre si régulier de sa vie est une niche, où il apparaît comme un saint, rigide, retiré les yeux au ciel. Pourtant, si l’on scrute de près sa physionomie, on y remarque un clignotement des yeux qui indique une nature nerveuse et inquiète ; si l’on cherche son regard, on sent quelque chose qui s’agite au fond de ses prunelles brunes et se dérobe. Un observateur perspicace comprendrait assez