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seconde quinzaine d’octobre, toute l’espérance de l’Allemagne reposait sur ces corps, — vieux ou neufs, — qui, balayant les armées alliées, en rouleraient les débris épars sur Dunkerque et Calais. Cet assaut, il le fallait supporter dans les pires conditions. Au Nord, une rivière insignifiante, sans vallée profonde, facile à franchir, si elle n’était pas défendue par des troupes résolues, aguerries, nombreuses ; au Sud, un saillant dont j’ai dit assez les inconvéniens ; entre le champ de bataille du Nord et celui du Sud, entre le coude de l’Yser au Sud de Dixmude et les quelques crêtes boisées à l’Est d’Ypres, un large défaut mal fermé par le canal de Furnes à Ypres — et en face de ce défaut, une véritable place d’armes ennemie, cette forêt d’Houthulst, tout à la fois écran pour l’attaque, refuge aux replis de l’adversaire, forteresse boisée, constant souci pour notre état-major.

Derrière cette ligne sans consistance dont Foch avait bien vu, en voulant l’offensive, qu’il la fallait, cette ligne, à toute force laisser loin derrière nous, pour que, — entre Ghistelles et Courtrai, — la bataille se déployât à l’aise, des troupes hétéroclites, unies certes par une cordiale entente et une commune résolution, mais obéissant néanmoins à trois chefs : le roi des Belges de son grand quartier général de Furnes, le maréchal French de son grand quartier général de Saint-Omer, le général Foch de son quartier général de Doullens, puis de Cassel, troupes inégales, sinon par la valeur morale, du moins par l’entraînement guerrier, troupes déjà fatiguées, s’il s’agissait des Belges, troupes encore novices, s’il s’agissait des Anglais, troupes bien peu nombreuses, s’il s’agissait des Français, lorsque s’engagea la bataille entre le 17 et le 20 octobre.

Et cependant, cette ligne, il ne fallait, à aucun prix, y renoncer : à tous les degrés du commandement, un Joffre, un Foch, un d’Urbal, — et jusqu’à leur plus petit soldat, — tous sont d’accord sur ce point : ces cantons de Flandre ne peuvent être abandonnés, aucun repli n’est admissible. Car, livrant à l’ennemi le dernier morceau de Belgique, ce repli vaudrait à l’Allemand une immense victoire morale, — si l’on peut appliquer le mot à cette scandaleuse conquête. Tant qu’il restera au roi Albert un mètre carré où planter, en sol belge, le drapeau national, le crime restera impuissant à se couronner d’un triomphe complet. Cette suprême barrière qui, de Nieuport à Ypres, lui est opposée, elle ne défend pas seulement une terre,