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Le maréchal s’était porté à Hooge vers deux heures de l’après-midi avec le général Haig. C’était, écrit-il, « le moment le plus critique de tous ceux que nous eûmes à traverser pendant cette grande bataille. » Anxieux, tourmenté, il songeait à abandonner Ypres et, sachant Foch à Vlamertinghe, s’y rendit.


XII — LE RÉTABLISSEMENT

Le maréchal French envisageait nettement la perspective d’un repli à l’Ouest d’Ypres. L’attaque allemande, non seulement dénotait le dessein arrêté de percer, mais décelait la présence de forces très supérieures du côté de l’ennemi. Il était peu douteux que celui-ci poursuivrait le lendemain ses avantages. Or, au cours des deux jours précédens, l’armée anglaise avait fait des pertes cruelles : on pouvait craindre qu’elle ne fût plus capable de tenir sa ligne maintenant bien démantelée. La situation du saillant d’Ypres, que je résumais tout à l’heure, apparaissait clairement au maréchal avec tous ses inconvéniens. Attaqué à droite et à gauche, le général Haig était exposé à un désastre. Dans ces conjonctures et instruit formellement que l’ennemi se renforçait, le maréchal était résolu au repli lorsqu’il arriva à Vlamertinghe, poste de commandement du général d’Urbal, où Foch venait de se rendre.

Celui-ci restait dans son rôle de coordinateur de la bataille. En suivant de son œil si vif les péripéties, il ne perdait jamais cette belle humeur un peu ironique qu’on lui avait vu, — sur les hauteurs de la Marne, — opposer à la fortune un instant adverse. Car déjà il était autorisé à dire qu’il en avait vu bien d’autres. Plein d’un sang-froid qui s’alimentait d’optimisme, il ne prenait rien au tragique, prenant d’ailleurs tout au sérieux. De son quartier général de Cassel, il surveillait, des dunes de Nieuport aux rives de la Somme, une énorme bataille qui, en raison même de cette énormité, lui permettait de planer, partant, de donner à chaque incident sa valeur exacte, d’en apercevoir les répercussions, d’en tirer les conclusions. Actif comme un jeune colonel, on le voyait courir, depuis trois semaines, les quartiers généraux, — de celui de Castelnau à celui du roi Albert et « chez French, » ainsi qu’il disait comme « chez Maud’huy, » ou (c chez d’Urbal, » souriant d’une façon un peu énigmatique sous sa grosse moustache grise, tout en mâchonnant son éternel