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Il fallait ces coups de fouet. « Voilà trois jours que nous nous battons, écrivait, le 26, un chasseur du 24e bataillon, il y a 200 de nos chasseurs morts ou blessés. » Un officier du 209e se lamente : « Voilà dix jours et dix nuits que nous sommes sous un terrible feu d’artillerie... Nos heures sont comptées... Pas moyen de trouver des vivres... Ainsi, vous pensez bien que nous n’avons plus d’espoir... » « On est mort de fatigue, » écrit un autre soldat. La lassitude était extrême : la démoralisation menaçait.

C’est pourquoi, ne se fiant pas aux phrases ronflantes du prince Ruprecht pour conquérir Ypres, l’état-major allemand avait pris toutes ses mesures. Aux corps qui déjà étaient en face d’Ypres (XXIIIe, XXVIe, XXVIIe, XVe) s’en ajoutèrent d’autres : le général von Fabek, groupant en un détachement d’armée les XIIIe et XIXe » corps, était jeté dans la lice ; le XXIe corps arrivait du Sud ; une division d’Ersatz était glissée entre les XXVe et XXVIIe corps de réserve, venue de Bruxelles par Gand ; sur le seul front Gheluvelt-Hollebeke (à peine 4 kilomètres) où, à la vérité, la percée a été décidée, on a accumulé la 6e division bavaroise, le XVe corps, la 38e division de réserve, le IIe corps bavarois, d’autres troupes encore, dit-on. « Toutes ces forces, diront les prisonniers, avaient Ypres comme objectif, et ils livreront une proclamation du 29, disant que la prise de cette ville devait être considérée comme d’une importance capitale. L’Empereur était attendu à Thielt, — quartier général du duc de Wurtemberg, — le 30. Le souverain assisterait de là au double assaut de l’Yser et d’Ypres et pourrait, après quelques jours de combats, entrer derrière ses braves troupes dans la dernière ville de la Belgique conquise.

Le maréchal French écrira : « L’attaque dans le voisinage d’Ypres (du 30 et 31) fut peut-être la plus importante et la plus décisive. » Seulement, après avoir paru l’être au profit des Allemands, elle allait tourner contre eux.

Le champ de bataille était cependant bien peu favorable aux Alliés. Le saillant d’Ypres offrait une des positions les plus scabreuses depuis que des forces importantes s’y accumulaient : les assaillans pouvant de toutes parts y croiser leurs feux, les défenseurs devaient faire passer leurs ravitaillemens et leurs renforts par Ypres et de rares points de passage, copieusement et facilement bombardés. A tout instant, les convois s’enchevêtraient :