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vent les rend inutilisables ou peu efficaces et qu’il y a toujours du vent, le capitaine Sacconney avait, longtemps avant la guerre, imaginé d’utiliser à cet effet des trains de cerfs-volants qui, eux au contraire, fonctionnent bien dans le vent, mais seulement dans le vent.

Il restait à trouver un observatoire aérien qui synthétise les avantages des deux systèmes. C’est ce que réalise l’étrange « drachen-ballon » imaginé par les Allemands et dont ils firent grand usage pour régler leurs tirs dès le début de la campagne. Comme son nom l’indique — drachen veut dire cerf-volant en allemand — c’est un engin amphibie tenant à la fois du ballon et du cerf-volant. Du ballon il a la flottabilité dans l’air même calme, étant gonflé à l’hydrogène, comme le sphérique. Du cerf-volant il tire ses autres avantages : sa forme allongée fait que comme une barque amarrée dans une rivière il s’oriente invariablement dans le lit du vent, ce qu’assurent par surcroît des ailerons et une poche à air placée à l’arrière de l’aéronef, où s’engouffre le vent et qui se comporte comme un stabilisateur d’orientation. — Ainsi la rotation de la nacelle, si gênante dans le sphérique, est tout à fait supprimée.

D’autre part on sait que lorsque le vent augmente il tend à faire monter le cerf-volant par la pression exercée sur sa face inférieure, et au contraire à abaisser et à coucher vers le sol le ballon sphérique captif.

Le drachen est construit de telle sorte que ces deux actions antagonistes se compensent exactement, et ainsi l’appareil, à peu près indifférent aux variations du vent, reste sensiblement immobile et à l’abri des oscillations et des variations d’altitude, quelles que soient les irrégularités des mouvemens de l’air.

Nous sommes aujourd’hui largement pourvus de ces engins qui constituent des auxiliaires précieux pour les réglages d’artillerie grâce au téléphone qui les relie au sol. D’ailleurs beaucoup d’armées européennes les avaient adoptés dès avant la guerre. Il y a quelques semaines, sur un tout petit coin du front de Champagne, j’ai compté trente-deux des nôtres simultanément au-dessus de l’horizon.

En baptisant du nom de « saucisses » ces grosses outres aériennes nos poilus ont trouvé une image pittoresque, parfaitement adéquate à l’objet, et qui sans doute restera dans la langue. Elle manque peut-être un peu de poésie, mais tout n’est pas poétique à la guerre.


CHARLES NORDMANN.