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suffisante enfin dans les pays conquis, à l’Est et à l’Ouest de l’Allemagne. Or on sait que nos adversaires, appliquant à l’extrême rigueur le principe : Suprema lex, salus populi, accapareront toutes les récoltes dans ces dernières contrées. C’est une question de savoir s’ils laisseront de quoi vivre, avec les plus rigoureuses privations, aux infortunés habitans, Lithuaniens, Polonais, Volhyniens, Valaques, Serbes, Belges et Français du Nord.

Quant au cheptel qui, fort éprouvé dans les premiers mois de la guerre, a pu se maintenir à un chiffre assez satisfaisant [1], grâce justement aux réquisitions impitoyables pratiquées dans les régions envahies, les Allemands sont bien décidés à l’exploiter cette année-ci et l’année prochaine, où, pensent-ils, l’effroyable lutte se décidera en leur faveur, les armées de l’Entente étant épuisées et les peuples affamés par la campagne des sous-marins poursuivie avec une énergie croissante. On s’étend peu, naturellement, sur les secours de toute nature que les Alliés tireront de l’Amérique, entrée dans le conflit au grand dépit des chefs des puissances centrales ; on estime d’ailleurs que ces secours tardifs ne balanceront pas le dommage causé aux ennemis d’Occident par la défaillance des armées russes. Appréciation doublement imprudente, peut-être !...


Telle est la situation envisagée de part et d’autre dans son ensemble. Rien n’est décidé. Nous sommes, l’ennemi et nous, sur le sommet du plateau. Qui, des deux partis, poussera l’autre sur la pente où l’on ne s’arrête plus ? Le nôtre, sans aucun doute, mais à la condition de ne rien relâcher, ni de notre vigueur combative, ni de notre résistance aux élémens de désordre et de désorganisation, ni, surtout peut-être, car enfin il s’agit d’abord de vivre, de nos efforts pour restaurer les ressources du pays, à mesure qu’elles s’épuisent.

Et ce qui apparaît clairement, lorsqu’on y réfléchit, c’est la capitale importance du « facteur temps. » Oui, il faut se presser. A tous les points de vue, il convient de « hâter la décision, » en dépit de certaines apparences qui nous inciteraient à temporiser, à attendre, par exemple, pour entreprendre

  1. Bovins : 17 à 18 millions de têtes, au lieu de 27 en août 1914 ; porcs : 20 millions, au lieu de 25 ; moutons : complètement disparus (5 millions en 1914) ; chèvres : 3 millions, au lieu de 4 500 000 (chiffres fournis par M. de Aguero).