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femme avait demandé vainement qu’on lui permît d’emmener à Noyon ses enfans, âgés l’un de sept ans, l’autre de quatre ans. Les pauvres petits s’accrochaient aux roues de la voiture : ils sont restés en chemin !

Une autre femme de la même commune était dans son lit, atteinte de bronchite, lorsqu’on vint lui annoncer que les Allemands emmenaient son mari, avec d’autres captifs. Elle voulut lui dire adieu. Elle se leva, courut au convoi déjà en marche sous les coups de crosse des gens de la Kommandantur. Le commandant la repoussa. Elle approcha quand même, disant qu’on la tuerait plutôt... Elle réussit à se jeter dans les bras du prisonnier. Et celui-ci s’en alla plus fort, plus résigné, résumant, dans un dernier geste navré, toute sa tendresse pour elle et pour l’enfant resté au logis en deuil.

Pour soigner tous ces malades, il n’y avait plus de médicamens, la pharmacie de l’hospice ayant été pillée par les Allemands qui emportèrent aussi les instrumens de la salle d’opérations. D’ailleurs, dès le 16 février, les médecins de Noyon, et les prêtres, c’est-à-dire tous ceux qui pouvaient apporter aux malades une aide matérielle ou un secours moral, avaient été emmenés en, captivité. Machination vraiment infernale, qui faisait coïncider avec une concentration de malades et de mourans l’évacuation des médecins et des prêtres qui pouvaient les soigner dans leur misère ou les assister au dernier moment.

Les Allemands ont dressé, sur un coteau qui domine Noyon, tout près de nos casernes incendiées, une colonne massive, en l’honneur du corps d’armée et des unités qui ont occupé cette ville et tout le pays d’alentour. Ce monument d’insolence domine un cimetière dont les tombes, soigneusement étiquetées révèlent les numéros des divisions, des brigades et des régimens qui ont piétiné, ravagé pendant plus de deux ans ce coin de France. Grenadiers de Mecklembourg-Strelitz, fusiliers du Schleswig-Holstein, artilleurs et uhlans de la Garde prussienne ont ainsi leur place marquée, dans la série historique des incursions tudesques, à la suite des Boches d’autrefois qui incendièrent Noyon, et mirent toute la Picardie à feu et à sang.

— Nous autres, nous respectons la mort, me dit un de nos officiers. Mais, si vous voulez voir comment ils se conduisent envers les tombeaux, venez visiter avec moi la crypte funéraire du château de Mont-Renaud, dans la commune de Passel.