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réveiller juste à temps pour emporter l’argenterie de la plus riche maison du bourg. A Framerville, sous les yeux du curé de la paroisse, les incendiaires se mirent à danser, au son d’un piano mécanique, en activant par des projectiles inflammables les brasiers allumés. A Guiscard, les plus fieffés hobereaux de la Garde prussienne se firent remarquer, selon le témoignage du maire, par un état d’ « ivresse ignoble. » Quant aux conquérans de Noyon, l’image de leur triomphe est digne d’être transmise à la postérité ! Arraché de l’hôtel de ville, l’honorable maire de Noyon, M. Noël, sénateur de l’Oise, directeur de l’Ecole centrale des Arts et Manufactures, homme éminent et bienfaisant, dont les Allemands ne pouvaient pas ignorer le caractère digne de tous les égards et de tous les respects, est forcé d’aller au-devant des troupes qui viennent par le faubourg d’Amiens. On le fait marcher, avec ses deux adjoints, MM. Félix et Jouve, attaché à l’étrier d’un commandant. M. Jouve, ne pouvant suivre le pas des chevaux, sous l’ardent soleil de cette chaude journée d’août, tombe de fatigue : ‘ un uhlan le frappe du bois de sa lance pour l’obliger à se relever. Dans la rue du Rouard, les témoins de cette lugubre scène voient M. Jouve tomber de nouveau, ainsi que M. Noël, au milieu des soldats grisâtres, dont le défilé par rangs et par files dure interminablement. Au bout de ce calvaire, à la fin de cette terrible journée, le maire et les adjoints, accablés de lassitude et de tristesse, sont jetés en prison. Ils seront désormais des otages, à la disposition de la Kommandantur, et leur vie est à la merci d’un caprice ou d’un hasard. Une parole téméraire, le geste imprudent d’un de leurs compatriotes, une rixe entre soldats et habitans, cela suffira pour les amener devant le peloton d’exécution. Les fusils Mauser sont prêts à partir. Tout sert de prétexte. On montre encore, à deux pas de l’hôtel de ville, l’endroit où un paisible citoyen, M. Devaux, tourneur en bois, fut abattu par une balle. Ce malheureux homme, étant consigné comme otage à l’hôtel de ville, avait cru pouvoir sortir pour aller chercher un objet oublié dans sa maison, située tout près de là...

Lorsque l’on quitte la place de l’Hôtel-de-Ville pour descendre la pente qui mène à la rue des Tanneurs, on se trouve en présence de maisons complètement démolies. Elles ont sauté, en même temps que les ponts voisins, au moment où les Allemands