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louable et ne blâmez rien, mais ne paraissez transporté ni étonné de rien… On ne saurait aller trop souvent à Paris chez ceux qui tiennent maison, parce qu’on leur fait toujours plaisir ; on ne saurait assez ménager le temps de ceux qui n’en tiennent pas ou qui ont des affaires ou des devoirs à remplir. »

Il recommande à son neveu de rechercher la société de quelques-uns « de ces sages aimables et hauts qu’on ne trouve guère qu’en France, » et il nomme le baron Thiers et le duc de Nivernois. Le modèle du parfait grand seigneur, il le trouvait en M. de Belle-Isle qui joignait à la sobriété du soldat les manières du vrai gentilhomme.

En aucun moment ses succès mondains n’empêchèrent Bernstorff de rester fidèle à sa liaison avec la maréchale. Il revenait s’asseoir au coin du feu, chez son amie, en célibataire qu’attiraient un foyer et une douce présence féminine. Il appréciait dans ses moindres détails l’excellente tenue de cette maison. Ses entretiens avec Mme de Belle-Isle roulaient fréquemment sur des questions de ménage. Ils échangeaient des avis sur l’ordonnance d’un diner et mêlaient très judicieusement le souci de leur bien-être matériel aux effusions sentimentales. Bernstorff invita la maréchale et quelques intimes à des soupers qui furent très estimés des gourmets parisiens.

L’été apportait d’autres douceurs : la villégiature à la somptueuse résidence de Bisy, en Normandie. Un appartement y était réservé au baron et toute liberté lui était laissée de travailler. Là encore il assistait tous les jours au lever de Madame, il l’accompagnait dans ses promenades et le soir, lorsque tous les hôtes du château circulaient, deux par deux, dans les jardins, c’était lui qui offrait le bras à la maréchale, privilège que personne ne songeait à lui disputer.

Cette intimité charmante durait depuis six ans lorsqu’elle prit fin brusquement : le roi de Danemark rappelait Bernstorff pour lui confier les fonctions de premier ministre et secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Il fut affligé, car la France lui était comme une seconde patrie. Le tout Paris, le tout Versailles regrettèrent son départ[1]. Et pour Mme de Belle-Isle la séparation était cruelle. Bernstorff dut lui promettre de revenir

  1. Trois ans après son départ, Stainville-Choiseul put encore lui écrire : « On parle de vous comme si vous étiez parti hier ; cela n’est pas commun. Je crois que vous êtes le seul absent dont on se souvienne avec autant de regret. »