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Luxembourg, de Boufflers et de Mirepoix, chez Mme Du Deffand, Mme Geoffrin, et le président Hénault. « L’envoyé de Dannemarc a l’air jeune, dit le duc de Luynes dont la femme était dame d’honneur de la reine de France. Il a de la finesse et du goût... il est homme d’esprit et de bonne société... il sait la langue française beaucoup mieux que bien des Français [1]... Il est extrêmement mesuré dans ses démarches, écoute beaucoup, parle peu et toujours en bons termes et à propos. »

J.-H. Bernstorff retrouvait à Paris le parfum de haute élégance dont il avait reçu dans sa vingtième année la très vive et durable impression. L’influence des femmes dans les salons était inconnue en Allemagne ; il goûtait fort l’attrait de la causerie féminine. Il fut du cercle de la Reine où il se lia avec le baron Thiers qui, riche de cent mille écus de revenus, marié à une Laval-Montmorency et père de trois charmantes filles, avait une maison splendide à Paris, beaucoup de belles et bonnes terres et menait doucement sa vie tout en regrettant le règne de Louis XIV et en déplorant la frivolité du siècle [2].

Bernstorff fut aussi des intimes de Mme de Pompadour. Lorsqu’il connut la favorite, celle-ci n’était encore que Mme d’Etiolles. Elle conçut, ainsi que Mme Poisson, sa mère, beaucoup de sympathie pour le ministre du roi de Danemark et le reçut plusieurs fois au château d’Étiolles. Un billet de Mme Poisson, daté du 18 octobre 1744 (et dont l’orthographe est ici respectée) montre que la mère et la fille souhaitaient qu’il fût plus assidu encore.

« Deux dames qui ne sont pas si chiene ce plaigne beaucoup de Votre Exelence, Monsieur. Comment, il y a trois mois que nous n’avons eu le plaisir de vous voire, vous écrive, vous nous scavé à Étioles, et vous ne vené pas y passer une huitaine de jours avec nous, c’est un crime de lèze amittié, qui ne peut être pardonable qu’en partant aussitôt la présente reçue. Je m’imagine vous voire levé les épaules et dire : A propos de quoi ces femmes veult elle croire que j’ay de l’amittiez pour ellel Voilà

  1. Cela est confirmé par Voltaire qui, envoyant au baron Bernstorff les Prémices du Siècle de Louis XIV, lui écrit : « A la manière dont vous parlez notre langue, ce serait se tromper de ne pas vous prendre pour un Français et pour un des plus aimables. »
  2. De retour en Danemark J.-H. Bernstorff fit construire près de Copenhague, sur le modèle de Tugny, au baron Thiers, le joli château qui porte son nom, qui a vu, sous S. M. Christian IX, de belles réunions de souverains et qui est aujourd’hui la propriété de S. A. R. le prince Valdemar de Danemark.