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d’ordonner que l’on m’écrivit, que votre valet de chambre m’écrivît tous les jours l’état où vous seriez, mais avec vérité et exactitude ; j’en userai de même... »

Elle se montrait pleine d’ingéniosité pour assurer l’expédition des lettres et leur remise en bonnes mains, chose particulièrement difficile en temps de guerre, car il fallait déjouer l’indiscrète surveillance exercée par les commandans d’armée :

« Je vous déclare que le maréchal de Broglie a un talent tout particulier pour faire ouvrir les lettres ; ainsi il faut bien de la circonspection ; mais si par hasard vous vouliez me mander quelque chose de plus particulier que les nouvelles courantes, il faudrait mettre une seconde enveloppe adressée à Mme du Fresnay, directrice de la poste à Strasbourg, avec un petit billet dedans, sans signature, et qui ne dirait autre chose, sinon qu’elle est priée de me faire passer seulement la lettre ci-jointe... Vous êtes un peu comme moi : vous aimez à conserver les lettres de vos amis ; mais vous allez faire un métier où quelquefois messieurs les hussards s’emparent des équipages, et si mes pauvres lettres allaient être prises, j’en serais fâchée. Il y a si peu de gens qui savent ce que c’est que l’amitié, qui la connaissent, et de mon côté je suis si tendre, si expressive pour mes amis que, si l’on trouvait mes lettres, je suis persuadée qu’il y a quantité de gens qui penseraient des choses fort étranges de moi. »

Ses amis de Paris, informés de sa liaison avec Bernstorff, essayèrent de l’en détourner. Parce que le Hanovre suivait la politique anglaise et soutenait Marie-Thérèse dans la guerre de la Succession d’Autriche, ils représentèrent le baron comme un ami des Autrichiens, comme un intrigant dangereux qui se servait d’elle pour se procurer des renseignemens nuisibles aux intérêts de la France. Ces perfides accusations ne modifièrent pas les sentimens de la maréchale. Elle s’en expliqua très franchement avec Bernstorff :

« Je n’ai jamais eu le moindre soupçon de votre façon de penser et de votre conduite. La personne qui me parlait prétendait que, comme Hanovrien, tous vos vœux étaient pour les succès de vos compatriotes, au préjudice de l’empereur Charles et de la France ; que vous aviez l’esprit pénétrant et que cela pourrait être dangereux ; que vous ne vous étiez pas même caché de dire que tout ce que vous pourriez deviner et