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peu d’années de mariage [1]. Adrienne habitait, rue des Marais, l’hôtel de Ranes, proche de l’hôtel de Belle-Isle, qui était situé sur le quai d’Orsay, au coin de la rue du Bac. La comédienne illustre adressait au maréchal de camp, déjà célèbre pour maint acte de bravoure, des billets « remplis du tendre intérêt qu’elle prenait à ses affaires : « Quand pourrez-vous venir dans cette petite rue du Marais ? Vous y pourrez parler de gloire tant qu’il vous plaira, vous serez sûr d’être écouté avec avidité et transport, et quand il faudra quelque intervalle, nous y mêlerons un peu de sentiment. »

Une autre fervente admiratrice du petit-fils de Fouquet était Juliette-Charlotte de Gontaut-Biron, femme de ce fou plein de génie, le comte de Bonneval, qui alla chercher des aventures en Turquie, devint pacha à trois queues, réorganisa l’armée ottomane sur le modèle européen et gagna sur les Autrichiens la bataille de Grotzka. Mme de Bonneval, qu’il abandonnait après un mois de mariage, ne devait jamais le revoir. La délaissée était jolie, spirituelle, aimable et bonne. Elle trouva des consolations à son malheur dans son amitié très vive pour le comte de Belle-Isle. Pendant qu’il était à l’armée du Rhin, elle lui envoyait des nouvelles de Paris et lui exprimait en même temps les sentimens qu’elle nourrissait à son égard : « Vous avez, à ce que je crois, plus de talens que personne. La fortune et la gloire sont complètes quand les cœurs ajoutent l’affection à l’estime ; je veux que l’on chante vos louanges de toute façon. Soyez bien sûr que rien n’est si constant que l’attachement inviolable que j’aurai toute ma vie pour vous. Je me plais à avoir un ami tel que vous... C’est un fait que vous n’avez personne dans le monde qui vous aime aussi tendrement que moi [2]. »

A cette époque, le maréchal était depuis cinq ans le mari de Mme de Béthune. Le ménage était fort uni. La différence d’âge n’empêchait pas ces époux de bien s’entendre. M. de Belle-Isle savait inspirer l’amour. Son biographe Chevrier dit qu’ « il était naturellement froid, ses conversations n’étaient pas gaies, mais instructives, il savait parler avec netteté et bien raconter un fait... Il n’était pas éloquent, mais il persuadait. Haut avec les grands, il était affable et prévenant avec les gens au-dessous de lui. » Ce jugement concorde avec celui qui fut porté par Terkel

  1. De sa seconde femme, Mlle de Béthune, il eut un fils unique, le comte de Gisors.
  2. Capitaine Sautai : Deux admiratrices du comte de Belle-Isle.