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dégoûté, fuit les lieux de sa célébrité dangereuse pour redevenir en un coin ignoré le brave menuisier de jadis.

Musco ne met aucune amertume dans son interprétation des faiblesses humaines ; il n’a pas de ces retours tragiques où, brusquement, les spectateurs s’aperçoivent qu’ils devraient pleurer. Tout chez lui est bonne humeur et joie ; il entraîne les pièces dans un mouvement vertigineux ; il ne laisse pas le temps de penser. Cette forte personnalité ne va pas sans quelques inconvéniens. Si bonne que soit la troupe qui l’entoure (et elle est excellente) les autres acteurs risquent de n’être plus que des comparses ; la pièce n’est plus qu’un rôle. Les nouveaux auteurs qui, suivant les traces de leurs aînés, Martoglio, Capuana, Pirandello, cherchent la pièce à succès, ne pensent plus qu’à l’acteur illustre quand ils écrivent : leur ambition se borne trop peut-être à procurer à Musco des effets certains. Ne raffinons pas sur notre plaisir, et contentons-nous d’être divertis. Pourtant, je voudrais voir un jour ce grand acteur sortant de son répertoire habituel, abandonnant pour une fois la comédie sicilienne ; allant plus loin même que les drames qu’il lui plaît de jouer par exception ; — abordant du Molière. Quel régal, que l’Avare, ou le Bourgeois gentilhomme, ou le Malade imaginaire interprétés par Musco !

Il y apporterait cette simplicité profonde qui demeure, en dernière analyse, la caractéristique de son art. Il ne joue pas ses rôles ; il les vit : c’est là son grand secret. On s’en rend bien compte, en voyant à quel point le Musco de l’existence réelle ressemble au Musco qu’on retrouve sur les planches. Aucune différence ; aucun dédoublement entre l’homme et l’acteur. Sa conversation privée est une mimique, comme son jeu ; il se dépense pour un seul interlocuteur comme pour tout le parterre. Il vient à dire qu’il reconnaît la profession des individus rien qu’à leur allure ; il distingue qu’un tel est commerçant, par exemple : et le voilà qui imite aussitôt le commerçant, affairé, pressé, courant à ses affaires, bousculant les passans, distribuant au passage des sourires hâtifs, se précipitant au guichet de la poste pour retirer son courrier. Mais l’employé n’est pas pressé, lui : là-dessus, Musco imite l’employé de la poste qui bâille derrière son guichet, flegmatique, détaché des choses de ce monde, considérant le public avec mépris, consentant à peine à tourner d’un doigt dédaigneux les lettres qu’il extrait de leur casier, —