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tailleur [1]. Travailler, soit : moins encore pour gagner son pain, que pour apprendre les secrets merveilleux de la profession. Quand on sait, le métier cesse d’être amusant, on l’abandonne, on en cherche un autre ; d’autant plus que le patron est peu empressé à retenir pareil ouvrier. On a vu Musco pousser dans les rues de sa ville une petite voiture chargée des quelques outils indispensables au cordonnier : c’était là tout son atelier. Car pourquoi un atelier stable ? Et pourquoi une maison qui est une gêne, et dont il faut par surcroit payer le loyer ? On dort bien en plein air ; n’étaient les demandes indiscrètes de la police, qui s’obstine à ne pas considérer comme un domicile les portiques de la place Martini. L’occupation favorite de cet invraisemblable bohème était de girare, de « tourner, » de traîner par les rues. Voilà qui est amusant ! Flâner sur le port, voir les négocians affairés et les matelots braillards ; s’arrêter aux bonimens des vendeurs, et suivre sur les visages des chalands l’effet de leur éloquence ; examiner de quel pas marche un curé, un soldat, ce vieux professeur qui sort de l’école, et ce malandrin qui passe devant les carabiniers d’un air de défi ; surtout, rester des heures au marché, dans la féerie des légumes et des fruits multicolores, dans le bruit assourdissant des voix, dans la cohue des campagnards et des citadins, des cuisinières et des dames, parmi les disputes, les colères, les offres engageantes, les refus, les plaisanteries, les jurons ; jouir pleinement de la comédie de la rue : quelle merveille ; quelle joie ; et, sans qu’il s’en doute, quelle école pour le futur acteur !

C’est par le chant qu’il vint au théâtre. Car il chantait sur les places, soit les romances à la mode, soit des chansons de sa composition, paroles et musique. Un beau jour, le directeur d’une compagnie de marionnettes le remarqua, le prit pour occuper les intermèdes : et tels furent ses débuts. Il dansait aussi, avec les jambes les plus agiles et les plus folles du monde. Aucune école, pas même l’école primaire, puisqu’il n’apprit à lire et à écrire qu’à vingt-quatre ans, par un prodige de volonté. Peu importe l’école ! Il dansait, il chantait ; il se faisait connaître du public local par l’originalité de ses créations, par sa verve toujours jaillissante. Tant et tant, qu’il finit par entrer dans

  1. Voyez la brochure de L. Bevacqua-Lombardo, Angelo Musco. Milan, P. Carrara, 1916.