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coups de mines, les torpilles, les obus. On dit bien qu’ils ne savent pas se garer. »

Les croix françaises sont presque toutes des grandes journées d’offensive : Juin et Septembre 1915. Avec la date, elles ne disent que le nom, le grade et le numéro du régiment. Et cette simplicité a sa grandeur. Tous sont pareils, et chacun n’est qu’un des morts de la France. Elle seule apparaît derrière eux. Les autres portent des mots d’amour et de religion. C’est l’inverse de ce que l’on voit dans la vie, où le Français montre plus de son être personnel et de ses mouvemens d’âme singuliers, où l’Anglais. s’étudie à cacher sous des aspects d’indifférence et de régularité ce qu’il contient ou éprouve de plus intime et de plus profond. L’âme de ce peuple apparaît ici avec son dessous de foi et de sensibilité chrétiennes. Une inscription disait : « Mes péchés méritaient la mort éternelle, mais mon Christ est mort pour moi. » Une autre, rudement gravée à la pointe du couteau, sur un morceau de planche, par quelque camarade : « Repose en paix jusqu’à ce qu’il vienne. » Plus loin, sur la tombe d’un enseigne de dix-neuf ans, des fleurs fanées sous un verre, avec un papier et ces simples mots d’une longue écriture féminine : « De la part de Mère, en souvenir à jamais aimant. » Dix-neuf ans : quelque volontaire de 1914 ou 1915 dont on a fait tout de suite un enseigne, sans doute parce qu’il fut élève d’une école de la classe gouvernante, dressé à ces jeux et disciplines de volonté que les Anglais croient propres à former des caractères et par conséquent des chefs. L’être social n’est plus, celui que les autres ont connu, — l’Anglais, le gentleman, l’officier. Il reste cette chose éternellement la même en tous les siècles de l’humanité : une mémoire de mère qui revoit toujours un petit enfant.

Les dernières tombes sont toutes récentes. La dernière est d’avant-hier, et puis une fosse vide est préparée. Elle attend, avec un peu d’eau jaunâtre au fond du trou. On a vu les dates de celles qui précèdent, et il faut conclure que probablement celle-ci sera fermée dans trois ou quatre jours. En ce moment, sans doute, celui qu’on y couchera est un joyeux garçon quelque part, à moins d’une lieue de ce village.

Des cavaliers passaient dans le soir, unis dans la cadence du trot. L’un des chevaux se cabra légèrement et se mit à galoper, ce qui me fit remarquer l’homme. Il avait vingt ans, tout au