Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Algérie, quand les flots jaunes de criquets abattus se relèvent, et qu’une campagne que l’on avait connue vivante et verte, apparaît grise, dépouillée de son herbe et de son feuillage, tout arbuste réduit à une terne broussaille. Ici la destruction s’en allait des deux côtés, bien au delà des étendues visibles. L’immensité du champ de mort épouvantait.

Presque rien n’apparaissait dans l’étendue monochrome, mais, à l’aide de la carte, on finissait par y distinguer des lieux dont ne restent guère que les noms, noms illustres, évoquant la mort et la victoire. La plus lointaine procession d’arbres-cadavres, c’était le bois de la Folie. A droite, sur la crête, à peine discernable à la jumelle, Thélus. En avant, à mi-chemin de cette crête, une trace grisâtre, lépreuse, et qu’on ne découvre qu’en cherchant longtemps : Neuville Saint-Vaast. Plus loin on pouvait imaginer Ecurie, et dans le Nord, Souchez, Carency, où nous n’avions trouvé, l’avant-veille, que poussière et lignes de briques. Mais on reconnaissait bien la ligne pâle de Vimy et la pyramide noire du crassier à l’extrême horizon du Nord, dans des voiles sombres de fumée, annonçant le pays des houillères.

En face.de nous, au-dessus de la dernière crête, trois macules grises s’espaçaient dans le gris moins foncé d’un banc de nuages : des ballons allemands d’observation, tellement immobiles qu’ils semblaient faire partie des vapeurs endormies du ciel.

Au milieu de ces champs déserts, un détail se révélait, qui semblait avoir un sens particulier, — quelque chose comme un signe énigmatique laissé par une pensée : des lignes vagues, par deux et par trois, en zigzags parallèles, ou bien enroulées autour d’un centre, en réseaux enchevêtrés. En ce dessin confus, on devinait un ordre, une intention, un peu comme si quelque tracé géométrique apparaissait, tout d’un coup, au télescope, sur un morceau de planète. C’était, sur la pure matière, la seule marque de la vie, vie actuelle qui a fait le vide autour de soi, les invisibles habitans ayant tout détruit en essayant de s’entre-détruire.

Ces indécises figures ont aussi des noms que le monde a entendus, que répétera l’Histoire, associés pour toujours à l’idée de sacrifice. Le plus visible de ces réseaux était le tragique Labyrinthe. Sur cette terre-là, où nous n’apercevions que solitude,